vendredi 16 février 2018

PAROLE DE... l'architecte, la lumière et la justice (2)















[ On n’écoute pas seulement les gens, on écoute des lieux, des situations. Il faut chercher à écouter aussi ce qui n’est pas dit. 
Renzo Piano ]



Suite de l'interview avec Laure Adler*, où Renzo Piano évoque tout particulièrement les enjeux liés à la construction d'un espace public.

R.P. :  Il y a un point délicat, c’est la périphérie. C’est un lieu de désir. C’est une usine à désirs, la périphérie. Le futur des villes. Le grand défi, c’est comment on peut intégrer la périphérie dans la ville. La périphérie, ce n’est pas autre chose. La périphérie, c’est la ville. C’est la ville métropolitaine. Il faut reconnaître qu’elle possède des énergies, dans le bien, dans le mal. Elle possède une très grande beauté humaine, et même parfois physique.

L.A. : Vous avez la lourde charge de construire notre futur palais de Justice dans une zone poreuse entre le périphérique, la ville et la banlieue.
Qui va fréquenter ce palais de justice, certainement des magistrats, mais aussi des gens qui viennent demander justice? Ou des gens qui n’ont même pas droit à la justice? Depuis que vous avez commencé l’architecture, Renzo Piano, quel que soit le continent, vous vous souciez des gens qui vont fréquenter les bâtiments.J’imagine que vous avez pensé aux gens qui seront à l’intérieur du palais de Justice ? Aux gens qui se sentent contraints ?

R.P. : Oui, c’est ça que j’appelle la partie immergée de l’iceberg. C’est là qu’intervient l’écoute. On n’écoute pas seulement les gens. On écoute des lieux, des situations. Il faut chercher à écouter aussi ce qui n’est pas dit. Sans cette capacité d’écoute, de se mettre dans la place des autres...


Dans chaque chose que l’on fait, c’est quelque chose qui a affaire avec des gens. Qu’il faut essayer de saisir.


C’est plus facile quand on fait un musée, une salle de concert, parce que là, tout de suite, on comprend le plaisir de partager ensemble la même passion.


Quand vous construisez un hôpital, vous parlez d’une situation de très grande fragilité. C’est un moment de suspension. Et là c’est aussi extrêmement dramatique. Je vous assure que c’est une des choses les plus délicates, celle de se mettre dans la peau des gens qui habitent un bâtiment.

Et la justice, évidemment, c’est une chose particulièrement complexe. Se retrouver dans un bâtiment pour la justice, c’est se trouver dans un moment de suspension dans lequel l’anxiété est extrêmement élevée. D’un côté, vous devez construire un lieu de sérénité pour les gens qui y travaillent, pour qu’ils puissent administrer la justice d’une façon plus juste. Il y a aussi des aspects de sécurité. C’est une machine, un tribunal, qu’on peut faire de façon telle qu’il ne soit pas trop sinistre, qu’il soit ouvert, lumineux. La luminosité de cet endroit va être un des éléments-clef. Même la salle des pas perdus, qui est d’habitude une salle plutôt sombre, elle sera très lumineuse. Ça ne veut pas dire qu’on fait de la bonne justice dans un bâtiment pour la justice, mais c’est un bon départ.

Finalement, un architecte s’occupe de la vie des autres, puisqu’il fait et construit des lieux pour les autres. On ne peut pas faire trop, mais on peut quand même faire beaucoup. Et c’est ce qu’on tâche de faire […]


Renzo Piano : une recherche profonde de concordance entre le bâtiment, sa fonction et les gens concernés. Une attention pénétrante aux expériences vécues dans les lieux qu’il projette. Une recherche qui commence par une récolte d'informations, une perception des ressentis pour passer ensuite à l'élaboration concrète du projet. Une conscience aiguisée des enjeux, bref une manière originale de relever tous les défis de l'architecture.

*Laure Adler / L'Heure bleue / France Inter / 31.08.2017

Images : Projet du Palais de Justice de Paris, Renzo Piano Building Workshop
Pavillon de la Photographie / Château Lacoste / Le Puy Ste Réparade / St. Aboudaram

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