lundi 26 février 2018

EXERCICE / REGARD DU DÉBUTANT : voir, percevoir














Vous pouvez tout peindre, il suffit de le voir. 
Giorgio Morandi ]


Pour mieux découvrir notre habitat, nous pouvons recourir à nos facultés visuelles. Nous avons la possibilité de nous tourner vers quelque chose qui nous attire, nous semble intéressant ou frappant. Nous pouvons prendre des photos ou alors dessiner pour saisir un coin de notre maison, un bibelot, un meuble. Si cela nous tente, pourquoi ne pas esquisser le plan des lieux ? Ce sont diverses manières d’aiguiser notre observation. 

Ce faisant, nous nous efforçons de ne pas agir en mode "faire". Il ne s’agit pas de "produire" un dessin, un plan, une série de photos. Il n’est pas question ici d’accomplir une tâche et de nous efforcer de la mener jusqu’au bout. 

C’est d’autre chose qu’il s’agit.

Cela relèverait plutôt du mode "être" : Être là. Observer, regarder, exercer notre regard, accorder toute notre attention au sujet que nous avons choisi et à ses caractéristiques : formes, couleurs, reflets lumineux, relations spatiales.
Photographier en étant "dans" la photo, "avec" notre sujet. Ou alors dessiner dans une sorte de symbiose entre notre regard, notre sujet, notre main. Nos yeux captent le réel, découvrent une perspective, un élément du mobilier, le jeu de la lumière sur une paroi sous un angle peut-être nouveau, inexploré. 

Ce faisant, nous pouvons également faire appel à d’autres sens : Ecouter la mine du crayon murmurer sur le papier, écouter le doux bruit quand nous colorions ou le crissement d’un trait quand nous hachurons. Sentir le stylo entre nos doigts, sentir le métal de l’appareil contre notre visage, au contact de notre peau. Nous sommes ici, maintenant, ouverts à ce qui se présente devant nous.

Nous ne visons aucun résultat. Nous ne nous livrons pas à un concours. Nous profitons juste d’utiliser le moyen choisi pour mieux faire connaissance avec l'objet de notre attention. Nous nous accordons ce moment par curiosité, par intérêt (Il nous faudra peut-être oublier à ce stade ce que certains enseignants ont pu nous dire autrefois sur nos capacités artistiques). 


Au fond, nous ne sommes pas différents maintenant de l’artiste, amateur ou pas, qui s’adonne à sa passion, qui cherche à rendre le réel, en dessinant un paysage, en photographiant une rue. Notre maison est un sujet comme un autre. 

N’oublions pas les mots de Rilke : il n’y a pas de lieu pauvre et indifférent. Nous nous trouvons face à un sujet, quotidien, familier, qui peut se révéler captivant, émouvant, percutant. Ou pas. Tout dépend de comment nous le percevons, juste maintenant, tandis que nous sommes en train de le représenter.





Images : Nature morte / Giorgio Morandi / Fondazione di studi di storia dell'arte Roberto Longhi / Florence
Le Cabanon de Jourdan / 1906 /Paul Cézanne / Galleria Nazionale d'Arte moderna / Rome

mardi 20 février 2018

EXPERIENCES : ce que disent les maisons / 2


Il y a une situation de travail qui m'avait beaucoup marquée. Il s'agissait d'une femme de 35 ans à peine, que nous appellerons Mme C. C’était sa psychiatre qui avait sollicité pour elle une aide au ménage. Prendre rendez-vous  pour procéder à l’évaluation de la demande avait été une tâche ardue, car Mme C. se révélait très difficile à atteindre. Quand finalement je l’avais rencontrée à son domicile, nous avions pris du temps et elle m’avait raconté son histoire : un an plus tôt, son mari avait tenté de la tuer. Il avait foncé sur elle avec sa voiture, en présence de leurs trois enfants (alors âgés de 4, 6 et 11 ans). Mme C. avait dû être hospitalisée et, si elle avait guéri de sa commotion cérébrale, en  revanche, elle ne se remettait pas de sa dépression. 

Elle m’avait fait visiter son logement, loué dès son retour d’hôpital. Il se trouvait au deuxième étage  d'un immeuble neuf, clair, judicieusement conçu. Le salon, les chambres des enfants semblaient "habités" et reflétaient l’existence d’une vie familiale. En dernier lieu, Mme C. avait ouvert la porte de sa chambre et elle m’avait dit : "Ça, c’est ma vie". Elle avait ajouté : "Moi, je dors sur le canapé du salon".
J’avais découvert une pièce d’environ 15 mètres carrés, dont toute la surface était jonchée de cartons empilés, de vêtements épars et d'objets divers, entassés jusqu’à une hauteur de 80 centimètres. Une mer de désordre, un fatras dans lequel il se révélait impossible de se faire un passage pour accéder à la salle de bain privative. Lors de l’entretien qui s’en était suivi, Mme C. m’avait dit qu’elle souhaitait de l’aide pour "récupérer sa chambre".

Les institutions sont d’énormes paquebots dont les capitaines se trouvent à des années lumières de la base des opérations. Au fil des années, on y introduit toujours plus de couches d’encadrement et toujours plus de procédures. Encadrer et poser des règles sont peut-être des manières de rassurer ceux qui sont en charge de la gestion. De restructuration en restructuration, le travail du terrain se complexifie, sans doute au détriment des besoins des bénéficiaires (lesquels sont de plus en plus nommés "clients"). L'institution où je collaborais ne dérogeait pas à la règle. 

En tant qu’assistante sociale, il m’appartenait de procéder à l’évaluation de la demande. Je devais, d'entente avec la "cliente", remplir un formulaire, déterminer le temps hebdomadaire nécessaire et préciser les tâches à effectuer. Ensuite, il me fallait transmettre le document dûment rempli à la coordinatrice des intervenantes à domicile, laquelle devait valider l’adéquation de la requête avec la mission de notre institution. Puis, la situation était présentée en colloque et la règle voulait qu’aucune intervention en équipe restreinte ne soit autorisée. Tout le monde était supposé pouvoir intervenir dans n’importe quelle situation. Être "interchangeable" et "souple" était de mise. Surtout, éviter les exceptions : les personnes devaient entrer dans des cases assignées.

Dans ces conditions, quelle place laisse-t-on aux personnes et à leur parole ? A leurs besoins et rythmes ? A leur créativité ?



En l’occurrence, nous avions convenu avec Mme C. que les auxiliaires passeraient une fois par semaine, pendant une heure trente pour lui prêter main-forte dans le nettoyage de son logement. A chaque passage, la collaboratrice serait disponible pour consacrer un peu de temps à ce projet "chambre", qu'elle avait exprimé, par petites tranches, selon les besoins et indications qu'elle voudrait bien lui donner. Au final, cependant, il n’y aura eu qu’un passage. Par la suite, Mme C. avait soit "oublié" l’heure du passage prévu, soit n’avait "pas entendu" le coup de sonnette de la collaboratrice. Au bout de deux entretiens manqués, la règle voulait qu'on mette fin à l’intervention d’aide.

Compte tenu de ce qu’elle était en train de vivre, on peut aisément imaginer que Mme C. avait dû faire un gros effort pour accepter qu'on entre chez elle, pour ouvrir la porte de sa chambre. Mettre de l'ordre dans cette pièce devait représenter pour elle un effort gigantesque. Ce devait être comme traverser un pont énorme, qui provoquait un intense vertige. Après avoir fait un premier pas en direction de l'autre rive, elle avait besoin qu'une personne de confiance lui tende la main. Elle avait besoin qu'on la rassure, qu'on tienne compte de ses blocages, et qu'on les comprenne. 
Dans un univers professionnel régi par des actes dûment définis, pouvait-on concevoir la suspension d'un vêtement sur un cintre, ou le pli de trois pullovers  comme une aide, un progrès?

La porte désormais fermée de Mme C. m'avait laissée songeuse: était-il possible d'imaginer une autre manière de procéder, plus adaptée, en dehors des règles bureaucratiques et des procédures préconisées? Une manière qui tienne compte des besoins et des contextes ? Qui ne prédéfinisse pas le nombre d'intervenants et ne délimite pas strictement leurs tâches respectives?  Dans "aide au ménage" pouvait-on entendre "aide" et pas seulement "ménage, nettoyage, balayage, efficacité" ? Ces tâches de ménage, qui constituent dans notre société les travaux les moins valorisés et les moins rétribués, ne pouvaient-elles être conçues comme nobles, utiles, dignes du plus grand intérêt?

Oui, repensant à Mme C. je me suis surprise à rêver d'une conception créative de l'entretien des lieux, attentive à leur importance, concevant leurs liens intimes avec les personnes qui les occupent. Les lieux et les objets ne sont-ils pas somme toute en interaction continuelle avec les êtres vivants ? Et à ce titre, n'ont-ils pas droit à être apprivoisés avec tout le respect et la délicatesse requis?



Images : Kneeling Woman / Sam JINKS / 2015 / Arken Museum / Copenhague
Standing Woman looking into Mirror / George Segal / Gosh! Is it alive? /2016 / Arken  Museum / Copenhague

dimanche 18 février 2018

EXPERIENCES : ce que disent les maisons



J’ai suivi le CAS en Mindfulness pendant que je travaillais comme assistante sociale dans le domaine du maintien à domicile. Ce travail passionnant m'amenait à me déplacer pour aller à la rencontre de personnes atteintes dans leur santé (le plus souvent à cause de leur âge, mais pas seulement). Je les voyais donc dans leur cadre de vie. Par ce biais, je faisais l'expérience inverse de ce qui se vit lors des entretiens habituels, quand une personne se déplace jusqu'à votre cabinet ou votre bureau, et prend place devant vous, dans le siège que vous lui désignez. Je pénétrais dans des territoires qui n’étaient pas les miens. J'occupais la place que les gens voulaient bien me donner. Au cours de mes tournées, je pouvais être appelée à entrer dans des logements très différents : dans des maisons de maître, de vieilles fermes délabrées, des caravanes, ou des appartements coquets. Les maisons reflétaient souvent le milieu social, les problèmes, les joies et les désarrois de leurs occupants. 

Les lieux, je n'ai pas tardé à le remarquer, fournissaient toutes sortes d’indications pour peu qu'on les observât. Ils aidaient à mieux comprendre qui était la personne, ce qu’elle vivait, ce qui lui faisait défaut ou ce qui était important pour elle. Avec le temps, j’ai commencé à les écouter. 


Il y avait les maisons bienheureuses, qui racontaient des histoires rassurantes :


Ainsi, je me souviens de Mme B. qui venait d’emménager dans un logement protégé et chez qui j’étais passée pour une évaluation de biotélévigilance. J’avais été accueillie ce jour-là par une vieille dame de 82 ans, joliment coiffée, souriante, élégante. Je lui avais fait part de mon étonnement : elle venait d’emménager il y avait moins de six jours et on avait l’impression en entrant chez elle qu’elle occupait ce logement depuis bien plus longtemps. Pas un carton ne traînait, les tableaux étaient accrochés aux murs, les lampes installées, tout reflétait l’harmonie et la sérénité. Mme B. m’avait alors expliqué qu’elle venait de passer deux ans dans un autre logement protégé, à 30 kilomètres de là. Or, elle avait manqué d’y faire (et peut-être y avait-elle fait) une dépression.


Elle y avait perdu le goût de vivre : dans cet immeuble neuf, on avait installé des séparations de balcons opaques qui lui « mangeaient » la lumière ; les travaux de finition avaient duré indéfiniment ; une mésentente chronique s’était peu à peu instaurée entre les locataires.

Au fil des jours, son fils avait entendu sa voix dépérir, lors de leurs entretiens téléphoniques quotidiens, et il avait fini par demander de toute urgence l’attribution d’un autre logement. 


Une fois arrivée dans celui-ci, agréable et lumineux,  Mme B. avait eu l’impression de revivre. Elle évoquait ses futurs petits déjeuners sur son balcon ensoleillé, avec vue sur la campagne. Elle m'avoua caresser le projet de devenir centenaire.


Mais il y avait aussi des maisons qui exprimaient de profondes afflictions, des plaies qui ne pouvaient pas cicatriser :



Mme D. était âgée de 67 ans. Elle vivait seule dans un grand six pièces délabré. Elle souffrait d’un syndrome de Diogène, qui l'amenait à cumuler une quantité impressionnante d'objets chez elle. Il était difficile de se frayer un chemin pour parvenir à la cuisine, seule pièce où pendant deux ans, elle a accepté de me laisser entrer. L’appartement avait toute une histoire. Il avait été initialement celui de son ami, décédé d’un cancer quelques années plus tôt et dont elle ne parvenait pas à faire le deuil. 
Quand elle avait reçu de son propriétaire une résiliation de bail pour cause de rénovation, je l’avais accompagnée dans les démarches en vue d’obtenir un logement protégé, puis dans l’organisation de son déménagement. 


Compte tenu des circonstances, elle s'était vue attribuer aisément un joli deux pièces lumineux, qui était en phase de construction dans un village tout proche. 

Mme D. disposait d’environ une année pour préparer son transfert, mais les démarches s'étaient avérées longues et complexes. 
Il lui était difficile de trier ses affaires. Elle pestait, manifestait de la mauvaise humeur, contre tout et contre tous. Elle exigeait, puis refusait de l’aide. Elle se plaignait que personne ne sache la soutenir.

Au final, le déménagement s'était fait sous la pression des délais, mais longtemps encore, bien après que le déménagement avait eu lieu, elle se lamentait de n’avoir pas assez de place et de n’être pas à son aise dans son nouveau cadre de vie.


Toutes ces expériences me disaient qu'il y avait des chemins à explorer en tenant compte des maisons. Car non seulement elles parlaient de la personne concernée, mais elles pouvaient fournir un excellent médium pour aborder certains sujets délicats de manière non frontale. A travers elles, il devenait possible d'apprivoiser en douceur une situation difficile, de permettre l'entrebâillement d'une porte au départ résolument fermée.
Les maisons, claires ou sombres, ouvertes ou fermées, astiquées ou encombrées, fournissaient un témoignage tangible de réalités tues, invisibles, secrètes. 
Il s'agissait d'y pénétrer à petits pas, à l'écoute de tous ses sens.


Images : Cavaliers sur fond de bourgade (détail) / Cercle de Vittorio Carpaccio /  musée civique / Padoue
Lampe et porte au sud de la Dalmatie.

vendredi 16 février 2018

PAROLE DE... l'architecte, la lumière et la justice (2)















[ On n’écoute pas seulement les gens, on écoute des lieux, des situations. Il faut chercher à écouter aussi ce qui n’est pas dit. 
Renzo Piano ]



Suite de l'interview avec Laure Adler*, où Renzo Piano évoque tout particulièrement les enjeux liés à la construction d'un espace public.

R.P. :  Il y a un point délicat, c’est la périphérie. C’est un lieu de désir. C’est une usine à désirs, la périphérie. Le futur des villes. Le grand défi, c’est comment on peut intégrer la périphérie dans la ville. La périphérie, ce n’est pas autre chose. La périphérie, c’est la ville. C’est la ville métropolitaine. Il faut reconnaître qu’elle possède des énergies, dans le bien, dans le mal. Elle possède une très grande beauté humaine, et même parfois physique.

L.A. : Vous avez la lourde charge de construire notre futur palais de Justice dans une zone poreuse entre le périphérique, la ville et la banlieue.
Qui va fréquenter ce palais de justice, certainement des magistrats, mais aussi des gens qui viennent demander justice? Ou des gens qui n’ont même pas droit à la justice? Depuis que vous avez commencé l’architecture, Renzo Piano, quel que soit le continent, vous vous souciez des gens qui vont fréquenter les bâtiments.J’imagine que vous avez pensé aux gens qui seront à l’intérieur du palais de Justice ? Aux gens qui se sentent contraints ?

R.P. : Oui, c’est ça que j’appelle la partie immergée de l’iceberg. C’est là qu’intervient l’écoute. On n’écoute pas seulement les gens. On écoute des lieux, des situations. Il faut chercher à écouter aussi ce qui n’est pas dit. Sans cette capacité d’écoute, de se mettre dans la place des autres...


Dans chaque chose que l’on fait, c’est quelque chose qui a affaire avec des gens. Qu’il faut essayer de saisir.


C’est plus facile quand on fait un musée, une salle de concert, parce que là, tout de suite, on comprend le plaisir de partager ensemble la même passion.


Quand vous construisez un hôpital, vous parlez d’une situation de très grande fragilité. C’est un moment de suspension. Et là c’est aussi extrêmement dramatique. Je vous assure que c’est une des choses les plus délicates, celle de se mettre dans la peau des gens qui habitent un bâtiment.

Et la justice, évidemment, c’est une chose particulièrement complexe. Se retrouver dans un bâtiment pour la justice, c’est se trouver dans un moment de suspension dans lequel l’anxiété est extrêmement élevée. D’un côté, vous devez construire un lieu de sérénité pour les gens qui y travaillent, pour qu’ils puissent administrer la justice d’une façon plus juste. Il y a aussi des aspects de sécurité. C’est une machine, un tribunal, qu’on peut faire de façon telle qu’il ne soit pas trop sinistre, qu’il soit ouvert, lumineux. La luminosité de cet endroit va être un des éléments-clef. Même la salle des pas perdus, qui est d’habitude une salle plutôt sombre, elle sera très lumineuse. Ça ne veut pas dire qu’on fait de la bonne justice dans un bâtiment pour la justice, mais c’est un bon départ.

Finalement, un architecte s’occupe de la vie des autres, puisqu’il fait et construit des lieux pour les autres. On ne peut pas faire trop, mais on peut quand même faire beaucoup. Et c’est ce qu’on tâche de faire […]


Renzo Piano : une recherche profonde de concordance entre le bâtiment, sa fonction et les gens concernés. Une attention pénétrante aux expériences vécues dans les lieux qu’il projette. Une recherche qui commence par une récolte d'informations, une perception des ressentis pour passer ensuite à l'élaboration concrète du projet. Une conscience aiguisée des enjeux, bref une manière originale de relever tous les défis de l'architecture.

*Laure Adler / L'Heure bleue / France Inter / 31.08.2017

Images : Projet du Palais de Justice de Paris, Renzo Piano Building Workshop
Pavillon de la Photographie / Château Lacoste / Le Puy Ste Réparade / St. Aboudaram

lundi 12 février 2018

PAROLE DE... l'architecte, la lumière et la justice (1)










[Construire, c’est une petite magie. 
Renzo Piano]



La fondation Beyeler à Bâle est probablement un des musées les plus apaisants qui soit : une harmonie de formes et d’espaces, ouverte sur le paysage verdoyant. Un bâtiment au service de l’art qui parle au visiteur et semble lui dire : viens, entre, respire, regarde, admire, sens-toi libre (oui, en leur prêtant attention, il peut arriver d’entendre des espaces parler).



Le Centre Klee... le Centre Klee, c’est autre chose : ces
trois courbes en bordure d’autoroute vous bousculent et vous amusent. On y sent moins le désir de mettre des œuvres en évidence que de jouer avec le territoire environnant. Comme pari, c’est réussi, c’est spectaculaire. Une fois à l’intérieur, la question qui se pose est de savoir si l’architecture est au service des œuvres de Klee ou le contraire.


On doit à Renzo Piano des réalisations qui ne laissent jamais indifférent. Tellement variées, qu’on imagine ce bâtisseur mettre à chaque fois ses compétences au service du projet, sans vouloir à tout prix imposer sa marque de fabrique (ce qui n’est hélas pas le cas de certains architectes stars). Depuis le Centre Pompidou, jusqu’à ses constructions plus récentes à travers le monde entier, ce lauréat du Pritzker Prize 1998 ne cesse de proposer des bâtiments captivants.

  
Le palais de Justice qu'il a projeté pour Paris sera achevé tout prochainement. Laure Adler* l’avait invité l'été dernier à parler de son métier, exercé depuis près de 60 ans. Sa conception : derrière tout projet, il y a des gens, des contextes, des vies. Il dit : « Un architecte s’occupe de la vie des autres ». Il privilégie la conception d’espaces publics, ces lieux qui « fécondent la ville, où les gens font des choses ensemble, partagent des valeurs ».

L.A. : L’architecte, est-ce un artiste ou un artisan ? Là, maintenant, en 2017 ? 
R.P. : C’est les deux. Bien sûr qu’on est artiste, il faut bien : les choix ne sont pas seulement rationnels. Mais il faut quand même être des bâtisseurs, des constructeurs. Il faut savoir construire et il faut aussi savoir comprendre les gens. On est des humanistes aussi. […] A neuf heures, il faut être bâtisseur. A dix heures, il faut être artiste. A onze heures, il faut être humaniste et à midi, il faut, si on peut, être à nouveau un peu poète. Mais surtout, il faut savoir construire. Il faut connaître le plaisir de bâtir.
L.A.: ça veut dire quoi : construire ?
R.P. : Construire, ça veut dire : savoir se battre contre la force la gravité, qui est une loi de la nature spécialement têtue. Il faut savoir mettre les choses de façon telle qu’elles tiennent même dans des zones sismiques. Il faut savoir reconnaître la force de la nécessité par endroits. Les besoins, les urgences. Il faut être bâtisseur dans son cœur.
Il ajoute : Construire, c’est une petite magie. Il y a toujours quelque chose de magique, d’optimiste dans l’art de construire. C’est l’opposé de démolir. .[…]

Il y a derrière ça une éthique du métier. Il y a une poésie du métier. Il y a des désirs. Il y a aussi la partie invisible de l’iceberg. La partie qu’on voit, c’est le bâtiment fini. Mais il y a une partie cachée, neuf fois plus grande. Il y a derrière ça tellement de choses. Il faut une habitude à écouter les gens. Elle est, parmi les tâches de l’architecte, la plus difficile. Ça ne veut pas dire obéir. Ça ne veut pas dire qu’on écoute et qu’après on fait ce que les gens demandent. Savoir écouter, c’est particulièrement difficile. Les gens qui ont le plus à dire, ils ont une voix faible. Quelques fois, ils ne parlent même pas. Et ça, c’est peut-être la chose la plus délicate à apprendre […] 

*Laure Adler / L'Heure bleue / France Inter / 31.08.2017

lundi 5 février 2018

Recentrage



Régulièrement,
en plein travail,
 ou avant d'entreprendre 
quoi que ce soit,
juste ça :
Nous arrêter.
Respirer.
Nous sentir respirer.
Nous entendre respirer.
Être entièrement là
dans ce souffle
qui vient et qui va.
Nous recentrer.



Chez nous, il est possible de faire de temps en temps une pause pour nous recentrer sur le moment présent.
Ces micro-pauses nous permettent de ne pas nous laisser distraire de cette réalité toute simple :
nous sommes là où nous sommes, en train de faire ce que nous faisons.
Ces moments d’arrêt sont particulièrement bénéfiques dans notre maison. Ils peuvent être source d’enrichissement, d’éveils en tous genres et peuvent même nous aider à prévenir toutes sortes d’accidents.
Ils ne demandent pas beaucoup en termes de temps. 
Ils demandent simplement que nous y revenions, régulièrement.



Pour une introduction sonore, aux exercices, c'est ICI


Image : Sans titre / Daniela Dahler

vendredi 2 février 2018

EXERCICE / REGARD DU DÉBUTANT : les richesses du réel










Si votre vie quotidienne vous paraît 
pauvrene l'accusez pas; 
accusez-vous plutôt
dites-vous que vous n'êtes pas 
assez poète pour en convoquer 
les richesses. 
Pour celui qui crée, il n'y a pas, en effet
de pauvreté 
ni de lieu indigentindifférent

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète* 


Le propre de l'enfance, c'est une faculté inouïe de vivre au présent. Nous serait-il possible de nous immerger dans notre réel quotidien en étant tout simplement attentif à ce qui se déroule, ici, là, sous nos yeux? 

Baladons-nous chez nous. Soyons créatifs avec notre regard. Soyons curieux.


Observons les tombées de la lumière sur les sols, sur les parois. Examinons les ombres portées, leur relation avec les différentes surfaces. Allumons et éteignons les lampes. Étendons notre observation de la lumière à ses jeux de reflet dans les vitrages, dans les miroirs.

Approchons-nous d’une fenêtre. Que nous permet-elle de voir ? Qu’apporte-t-elle à la pièce où nous nous trouvons ? Une ouverture sur le paysage ? Un degré de luminosité particulier ? Offre-t-elle des distractions ? Donne-t-elle des indications sur l’heure de la journée, sur la saison de l’année que nous sommes en train de vivre ?

Ouvrons la fenêtre. Pouvons-nous percevoir la qualité de l’air qui entre ? Les sons qui se déversent à l’intérieur ? Des rumeurs citadines, des bruits de moteurs, un tracteur ? Des chants d’oiseaux ?

Circulons dans les pièces. Reluquons derrière les meubles, au-dessus, au-dessous.



Parcourons les rayonnages de nos bibliothèques, lisons quelques titres. Que nous évoquent-ils ? Nous inspirent-ils ?

Exerçons nos capacités de toucher. Effleurons les surfaces. N’hésitons pas à passer nos doigts sur le mobilier, caressons les objets. Sentons les matériaux, sont-ils lisses ou rugueux, doux, froids, irréguliers, plaisants ou déplaisants ?

Écoutons à présent les bruits. Tous les bruits qui sont ceux de la maison : des craquements, des grincements, l’enclenchement du chauffage, le tic-tac d’une horloge ? des échos de voix, un claquement de porte, le bourdonnement d'un insecte? 


Permettons-nous d'explorer toutes les richesses du banal, du quotidien, de l'ordinaire. Au fond, y a-t-il chose plus extraordinaire que l'ordinaire? 

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Lettre du  février 1903
Photographies : Street Art / Alessio.B.com / Padoue

copyright © daniela dahler 2018