jeudi 21 novembre 2019

PAROLES DE : construire face à un avenir fluide



L'espace Archizoom, à l'EPFL, expose en ce moment le travail de l'architecte bangladais Kashef Chowdhury, célèbre pour ses réalisations alliant élégance et capacité de faire face aux bouleversements climatiques. 

Le Bangladesh est un pays particulièrement peuplé, qui est aussi particulièrement exposé aux aléas des intempéries. Il s'étend sur un paysage défini par l'eau : un énorme delta, face à l'océan, des ruisseaux et des rivières par milliers, alimentés par la fonte des glaciers de l'Himalaya, des pluies torrentielles lors des moussons.
Un pays soumis plus que tout autre aux effets du changement climatique. Des phénomènes qui s'amplifient et se manifestent de manière inattendue. Ses habitants sont potentiellement des réfugiés au vu des tempêtes cycloniques et des marées violentes en constante augmentation.


Le bâtiment photographié ci-dessus a été conçu par Kashef Chowdhury et son bureau URBANA suite à un cyclone particulièrement violent, survenu en 2007, qui a fait des milliers de victimes en dévastant la bande côtière est du pays. Il s'agit d'un abri anti-cyclone, dont la conception a débuté juste après la catastrophe et qui a été inauguré en 2018, dans la ville balnéaire de Kuakata. 
La construction est à même d'accueillir jusqu'à 1'000 personnes, mais elle ne remplit pas seulement une fonction d'abri : c'est aussi une école et un dispensaire en conditions normales. 
Elle a été conçue pour faire face à des vents pouvant atteindre les 200 kilomètres/heure et des vagues de plusieurs mètres. Elle peut offrir refuge, grâce à ses rampes d'accès intérieures, non seulement aux humains, mais aussi à leur bétail, qu'il est indispensable de sauver pour assurer la subsistance des habitants après le passage de l'ouragan. 


Le bâtiment a donc deux fonctions bien précises : durant les conditions météorologiques normales et durant les moments de crise climatique. Dans le premier cas, la rampe d'accès protège les classes de la lumière et du soleil, favorisant une climatisation naturelle grâce au jeu des ombres, de l'aération et de la forme du bâti. 
Dans le second cas, sa forme polygonale, évoquant un tourbillon, réduit l'impact du vent et empêche les débris déportés de pénétrer à l'intérieur. 
Dressée dans une plaine, cette construction est immédiatement repérable depuis loin. Il est donc aisé pour la population, et particulièrement les enfants, de se diriger vers elle.
Entre tradition et créativité, l'architecte fait preuve de sa capacité de répondre tant sur le plan sociétal qu'économique et écologique à un problème de plus en plus pressant.

Kashef Chowdhury et son bureau, URBANA, conçoivent des projets à coût modéré destinés aux populations les plus démunies. Par exemple, un village surélevé en bordure du fleuve Brahmapoutre, astucieusement conçu de manière à faire face aux débordements et assurer une alimentation en eau potable. Ou encore une école dans le camp de réfugiés rohingya à Ukhia
En 2016, K.C. a reçu le prix Aga Khan pour son Friendship Center, situé plus au nord, à Gaibandha, dans une région régulièrement sujette à des inondations. Il s'agit d'un centre de formation géré par une ONG et dispensant des enseignements destinés à des personnes issues des classes les plus modestes.

Kashef Chowdhury s'efforce toujours de travailler avec les éléments, et non pas contre eux. Il laisse de la place à l'eau, tout en offrant une protection contre celle-ci. Il promeut une architecture qui n'est pas en résistance contre la nature, mais fonctionne avec elle, "entre la vie et la mort" comme il le dit lui-même. Il construit selon des principes économiques et inspirés par la tradition. Les projets, une fois élaborés, sont reproductibles et peuvent être réalisés sans passer par des architectes.

Son travail - ainsi que celui de bon nombre de ses collègues bangladais - est destiné à devenir exemplaire, dans la mesure où plusieurs points de la planète sont - ou risquent d'être - confrontés à des problèmes similaires. "L'architecture doit reconnaître que l'avenir est fluide" a exprimé l'architecte et historien bangladais Kazi Khaleed Ashraf. Les défis qui se présentent avec acuité au Bangladesh aujourd'hui vont bientôt concerner l'ensemble de notre planète. Alors qu'en Suisse et dans les pays occidentaux de manière générale, on construit avec un énorme déploiement de moyens, là-bas, on se réfère à des savoir-faire traditionnels (on recourt par exemple aux briques en terre). On renonce à la climatisation mécanique coûteuse et non écologique. On développe un art de bâtir en correspondance avec les besoins et les moyens endogènes. On conjugue élégance, simplicité et budget modéré.
Cette architecture, qui place la dignité humaine au premier plan, qui mise sur les possibilités de résilience de la nature et des gens, est riche en enseignements. Résolument tournée vers le soutien à la population la plus modeste et vulnérable, c'est une architecture à large portée, engagée, qui se préoccupe de l'avenir des enfants, de tous les enfants de demain. Laissons à K. C. le mot de la fin :
"Ce n'est pas parce que l'on construit pour les pauvres et avec peu de moyens qu'il ne faut pas rechercher le meilleur. La beauté est indispensable pour qu'ils ne perdent pas l'espoir."



Far away, so close - Kashef Chowdhury // Archizoom // EPFL // Lausanne-Dorigny // jusqu'au 7 décembre 2019
Emission de la RTS consacrée au sujet : ICI
Article dans Télérama /  22.02.2019 : ICI
Images : Kashef Chowdhury

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