lundi 22 juillet 2019

PAROLES DE : Colette et sa (peut-être) dernière maison


Je l'ai trouvée au bord d'une route que craignent les automobiles, et derrière la plus banale grille... une maison petite, basse d'étage... sa terrasse est couverte de glycine... la mer limite, continue, prolonge, ennoblit, enchante cette parcelle d'un lumineux rivage [...]. Ici je suis libre maintenant de vivre, si je veux, de mourir, si je peux...


Plusieurs maisons ont compté dans la vie de l'écrivain Colette. Parmi celles-ci : sa maison natale, à Saint-Sauveur-en Puisaye, la maison de Besançon où elle passa sept ans entre 1902 et 1908, son appartement parisien, donnant sur les jardins du Palais-Royal, et puis, il y a eu La Treille Muscate, à Saint-Tropez où elle s'installa à partir de 1925.
Dans La naissance du jour, un livre qui tient peut-être davantage du journal que du roman, fortement imprégné d'éléments autobiographiques, Colette s'épanche. Elle parle d'elle au travers de son cadre de vie. Elle se sent vieille (elle a 54 ans, et pour une femme née en 1873, c'est un âge qui pèse lourd sur sa perception de la vie et des opportunités qui lui sont encore offertes).

Est-ce ma dernière maison ? Je la mesure, je l'écoute, pendant que s'écoule la brève nuit intérieure qui succède immédiatement ici, à l'heure de midi. Les cigales et le clayonnage neuf qui abrite la terrasse crépitent, je ne sais quel insecte écrase de petite braises entre ses élytres, l'oiseau rougeâtre dans le pin crie toutes les dix secondes, et le vent de ponant qui cerne, attentif, mes murs, laisse en repos la mer plate, dense, dure, d'un bleu rigide qui s'attendrira vers la chute du jour.Est-ce ma dernière maison ? Celle qui me verra fidèle, celle que je n'abandonnerai plus ? Elle est si ordinaire qu'elle ne peut connaître de rivales.
Dans ce livre, l'écrivaine exprime son amour et son attachement pour la maison qui l'accueille, à travers une description attentive du quotidien, du paysage, du jardin - fleurs, plantes, oiseaux - qui l'entourent. Elle décrit à la manière d'un peintre impressionniste chacune de ses perceptions et sensations.
Cette oeuvre évoque une étape marquante de son existence. On pourrait dire qu'elle a pour sujet le renoncement. Colette paraît dire définitivement adieu à sa jeunesse, renoncer à la vie tumultueuse qui fut la sienne, à ses amours, à ses passions. A la Treille Muscate, dans le calme et l'apaisement qui l'entourent, elle se souvient de sa mère Sido et de leur lien intense, elle évoque ses relations fortes avec les bêtes et son rapport à l'écriture.
Elle sait que la vieillesse approche, elle pressent qu'elle va au-devant de pertes inévitables, mais ce pressentiment a la beauté des crépuscules : elle se montre attentive tout à ce que le lieu, la nature, les présences lui offrent.
Demain, je surprendrai l'aube rouge sur les tamaris mouillés de rosée saline, sur les faux bambous qui retiennent, à la pointe de chaque lance bleue, une perle... Le chemin de côte qui remonte de la nuit, de la brume et de la mer... Et puis le bain, le travail, le repos... Comme tout pourrait être simple... Aurais-je atteint ici ce que l'on ne recommence point ?
Ses ressentis et émotions sont soulignés par une écriture subtile :
Je crois que la présence, en nombre, de l'être humain fatigue les plantes. Une exposition horticole pâme et meurt presque chaque soir, quand on lui a rendu trop d'hommages; j'ai trouvé mon jardin las après le départ de mes amis. Peut-être les fleurs sont-elles sensibles au son des voix ? Et les miennes ne sont pas accoutumées plus que moi aux réceptions.
Cependant, signe de l'impermanence des choses, et des attachements, cette maison ne sera pas la dernière demeure de Colette. En 1938, l'écrivaine se dit lassée par Saint-Tropez. Le village est devenu une station balnéaire, trop fréquentée à son goût. Elle-même a gagné en notoriété et se voit importunée par trop de curieux.
Elle quitte la Côte d'Azur pour rejoindre Paris, dans un appartement sis rue de Beaujolais numéro 9.
Elle écrira encore, se mariera pour la troisième fois, traversera les heures sombres de la deuxième guerre mondiale et connaîtra les honneurs dus à son talent, avant de s'éteindre en 1954.

Images : peinture de la Treille Muscate (peintre malheureusement non identifié) / deux photographies de Colette devant sa maison de la Treille Muscate.

copyright © daniela dahler 2018