lundi 29 janvier 2018

EXPÉRIENCES : cadres de vie... vies de cadres




Au bout du fil: un consultant en entreprise. Il m’a appelée pour me parler de ce travail sur l’habitat en pleine conscience. Au cours de notre entretien, il me demande : "Vous  croyez que votre travail, il pourrait  intéresser des cadres ?". Je visualise un groupe de messieurs et de dames en costard foncé, désireux d’apprendre à mieux gérer leur stress face à toutes les décisions et responsabilités importantes qu’ils doivent prendre chaque jour, disposant de peu de temps et dans la nécessité de le rentabiliser.


Trop vite, sans doute, sans m'accorder une pause, je réponds : « Non, je ne crois  pas ». Non, sur le moment,  je ne conçois pas que ces exercices, ce temps consacré à respirer chez soi, cette attention aux choses du quotidien, puissent toucher des personnes évoluant en mode "gestion" dans leur milieu professionnel. Comment, du reste, leur expliquer le lien ?
En raccrochant, pourtant, je me reprends. Je peste contre cette habitude qui est trop souvent la mienne de réagir impulsivement, sans prendre le temps d’une respiration. Je peste, car tout à coup il me paraît évident que la question de l’habitat n’a rien à voir avec tel ou tel corps de métier. Et surtout, qu’une démarche en pleine conscience n’a rien à voir avec les responsabilités que l’on assume dans la société.


Se sentir "arrivé" quand on franchi le seuil de sa maison, se sentir chez soi relève d'un état d’esprit, d'une attitude sans rapport avec un quelconque statut.
Je peux imaginer même que, si notre travail nous amène à quitter notre domicile  tôt le matin, et que l’on y rentre tard le soir, épuisé, exténué par de fastidieux problèmes et par des relations qui ont pu être conflictuelles durant toutes ces longues heures, on a d’autant plus besoin de pouvoir se poser et se reposer. 
Je peux imaginer aussi qu'il est possible de se sentir mal à l’aise dans un logement de 250 mètres carrés, derrière une haie de thuyas, dans une rue calme, tellement calme que l’on s’y sent isolé.  Et le montant du loyer que l’on verse chaque mois, la marque du divan sur lequel on va s’asseoir, le standing du quartier où l’on habite n’ont que peu d'impact sur cette réalité : nous avons tous besoin d’un lieu où être, où nous sentir en sécurité.

Nous avons tous besoin d’un logement où, arrivant, notre corps nous donne des signaux de confiance : un sentiment de paix qui s’empare de notre être, les yeux qui se détendent, les épaules qui se relâchent. Comme une longue expiration, après des heures d'effort et, peut-être, de tension.

Alors, oui, l’exploration de leur habitat, le temps consacré à faire de leur maison un lieu de non-agir et de bien-être, oui, cela peut intéresser… même des cadres !




Photographies : Portraits officiels, Leeuwarden Series / Rijksmuseum / Amsterdam
A Family beside the Tomb of Prince William in the Niewe Kerk, Delft / Dirk van Delen (détail)/ Rijksmuseum / Amsterdam

vendredi 26 janvier 2018

EXERCICE / REGARD DU DÉBUTANT : faire connaissance


















[Il y a une naissance en toute connaissance.
Pascal Guignard *]


L’espace d’un moment, essayons de laisser de côté tout ce que nous pensons savoir sur notre maison. Il s'agit de nous débarbouiller les yeux, de changer de regard. Abandonnons la vision automatique que nous empruntons peut-être trop souvent quand nous abordons "notre" maison, "nos"murs. 

Plaçons-nous devant notre porte en imaginant que nous arrivons dans ce lieu pour la première fois. Adoptons une posture différente et, pourquoi pas, ludique : celle du néophyte, de l’apprenti, du débutant. Avançons comme un simple étranger. Un visiteur. 

Ouvrons la porte. Osons entrer. N'hésitons pas à faire connaissance avec les lieux. Quelles que soient les dimensions de notre logement, il sera un territoire à découvrir. Peu importe la grandeur et le nombre des pas que nous y ferons. L’essentiel est ailleurs. L’essentiel est dans la découverte.

Faisons des promenades dans notre intérieur, à petits pas, à grands pas. Que voyons-nous, là, aujourd’hui, chez nous ? Soyons conscient de ce qui s’offre à notre regard, moment après moment. Ayons les yeux de la première fois. 

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Pourquoi ne pas partir en exploration, comme un enfant ? Nous pouvons solliciter le petit enfant qui réside à l’intérieur de nous-même et lui demander de venir faire un bout de chemin avec nous, l’enfant qui aimait les découvertes et qui trouvait le moyen de jouer avec des cailloux ou des bouts de bois pendant de longs après-midis, celui qui savait s’extasier dans un territoire inconnu, une forêt, un jardin, une rue, et s’inventer des jeux à l'aide de trois fois rien. 


Partons en voyage.




Partons explorer coins et recoins.

N'hésitons pas à changer les points de vue.

Comme durant ces après-midi pluvieux où, petits,
nous inventions des aventures, nous devenions des rois,
des chevaliers, nous partions conquérir des territoires.

Découvrir des Amériques dans notre quotidien le plus banal.

S'étonner de l'ordinaire. Serait-ce une chose envisageable?

Serions-nous capables de retrouver ces jeux des après-midi pluvieux ?

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*Vie secrète, Folio, Gallimard, 1999, p. 153.
Photographies : L'aumône de Sainte Elisabeth de Hongrie (détail) / B. Schedoni / Museo Capodimonte / Naples
L’archange Gabriel avec Tobie entre les saints Nicolas et Jacques (détail) / GB Cima da Conegliano / Accademia / Venise

lundi 22 janvier 2018

EXERCICE / RENTRER CHEZ SOI : Chi va piano va sano…





[Chi va piano va sano... (ou: rien ne sert de courir)]










Une fois le seuil de notre maison* franchi, prenons un moment pour sentir que nous sommes "arrivés", pour capter ce qui distingue ce lieu de ce que nous avons laissé derrière nous. Ce moment n’a pas besoin d’être long. Il nécessite juste que nous soyons présents. Là. Ici.
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Quand nous rentrons chez nous, reconnaissons-le, une multitude de choses ont tendance à nous happer : peut-être l’urgence de se libérer de certains carcans (sacs lourds, vêtements ou chaussures contraignants), peut-être une sollicitation ou encore une tâche qui nous appelle.
Nous sommes probablement pressés pour toutes sortes de bonnes raisons. Mais cela nous empêche-t-il vraiment de prendre un moment, même très bref, pour sentir que nous sommes chez nous ?

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Donnons-nous le temps de quelques respirations.
Prenons conscience de ce dont nous sommes chargés, le courrier, nos sacs. Déposons-les tranquillement. Nous sentons-nous alourdis de fatigue, de lassitude ? Permettons-nous de ne pas être entraînés par toutes les affaires "urgentes" à accomplir. Laissons sonner le téléphone ou le portable. 

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Prenons aussi contact avec notre état d’esprit pendant ce moment de retour. Avons-nous conscience des émotions, des sentiments que nous portons en nous ? De quelles pensées sommes-nous chargés, là juste en ce moment ? 
Emportons-nous avec nous des soucis, des préoccupations de nos heures passées à l’extérieur ?
Pouvons-nous laisser ces "valises" au-dehors ou avons-nous besoin de rentrer les ouvrir et les déballer à travers toutes les pièces ?
Sommes-nous disponibles pour tourner la page et passer à d’autres expériences ? Sommes-nous disponibles pour l’espace, pour les personnes, les tâches, les atmosphères que nous retrouvons maintenant?

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Aidons-nous de notre respiration pour être conscients de tout cela.

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Nous sentons-nous vraiment arrivés chez nous ? Si tel est le cas, qu’est-ce qui nous donne cette impression ?
Soyons réceptifs à ce que nous disent nos sens. Écoutons-les : évoquent-ils des odeurs familières, des sons particuliers peut-être ? Perçoivent-ils une certaine lumière, des objets usuels et rassurants s’offrant à notre vue? 
Vivons-nous la perspective de retrouver des personnes aimées, un rythme différent ? 
Quelles émotions émergent-elles quand nous rentrons ?

Prenons le temps d’une nouvelle inspiration, d’une nouvelle expiration avant de "faire" quoi que ce soit.

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*Nous utiliserons ici souvent le terme "maison" pour nommer notre logement, le lieu où nous vivons. Il va de soi que, pour la majorité d’entre nous, nous ne vivons pas dans une "maison", mais ce terme peut être utilisé dans le sens large, comme quand nous disons :  "j’ai laissé mes affaires à la maison", ou quand nous invitons un ami : "passe à la maison". 

Photographie : Woman with a Child in a Pantry (détail)/ Pieter de Hooch / Rijksmuseum / Amsterdam

mardi 16 janvier 2018

EXERCICE / RENTRER CHEZ SOI : le pas

















[Un voyage de mille lieues commence par un premier pas.] Lao Tseu



Il y a un pas que nous faisons au moins une fois par jour et même souvent plusieurs fois. C’est celui qui nous fait rentrer chez nous.
En sommes-nous conscients quand nous le faisons, ce pas ? Quand nous passons de l’extérieur à notre intérieur ?
Sommes-nous conscients de ce qui est en train de se passer au moment où nous posons le pied dans notre maison ?
A ce moment précis, nos gestes : la clef tournée, la poignée saisie, la pulsion vers l’avant.
A ce moment précis, nos émotions : le soulagement, peut-être, ou la hâte, ou la pression qui nous animent.
A ce moment précis, nos perceptions : les odeurs que nous laissons derrière nous, celles qui nous accueillent.

Il y a dans ce pas quelque chose de totalement ordinaire, de totalement banal et pourtant sommes-nous conscients de passer dans un autre espace, avec ses rites, ses atmosphères, ses sons bien particuliers ?
Avec ce pas, tellement ordinaire qu’il en est devenu automatique, nous passons dans un autre univers. Il s’opère, l’espace d’un bref instant, l’espace d’un demi-mètre, une bascule.

L’attention à ce pas peut nous rendre attentifs à toutes sortes de passages dans notre vie.

Au fond, n’est-ce pas la première étape pour apprendre où nous mettons les pieds – au propre comme au figuré – lors de tous les passages que nous sommes amenés à faire ?

Et peut-être que l’attention à ce passage d’un espace-superficie à un autre pourra nous amener ultérieurement à percevoir des passages dans d’un espace-temps à un autre. Peut-être.

Pour l'instant, contentons-nous de prêter attention à ce pas.


Photographie : Portrait famille Valmarana (détail) / GA Fasolo / Palazzo Chiericati / Vicenza

copyright © daniela dahler 2018