lundi 28 mai 2018

EXERCICE / Histoire de nos maisons : rassembler, dessiner, ressentir


Il faut donc dire
comment nous habitons notre espace vital en accord avec toutes les dialectiques de la vie,
comment nous nous enracinons jour après jour dans un "coin du monde".
Car la maison est notre coin du monde. Elle est, on l’a souvent dit, notre premier univers.
Elle est vraiment un cosmos.

Gaston Bachelard, La poétique de l’espace

Il n'y a pas de retour au passé.
Il faut donc placer le passé devant soi.

Jean-François Billeter, Une autre Aurélia


Qui dit "histoire" évoque des éléments du passé et cela peut paraître en contradiction avec la pleine conscience, laquelle nous invite à nous centrer sur l'instant vécu et les sensations qui lui sont liées. Les exercices de Mindfulness sont censés nous aider à mieux connaître ce que nous vivons chez nous au moment-même où nous en faisons l'expérience. Proposer ce travail sur l'histoire de nos maisons a donc demandé réflexion. 

Au bout du compte, je suis arrivée à la conclusion que le fait de se pencher sur nos différents habitats passés, d'en tracer le parcours et d'en suivre le cheminement, peut être extrêmement éclairant pour le présent. Cela m'a conduite à mettre au point les exercices qui suivent, lesquels sollicitent la mémoire, et qui nous demandent en même temps de rester bien connectés à nos sensations présentes. Les émotions se vivent toujours dans l'instant. 

La pratique proposée aujourd'hui va faire appel à la fois à nos souvenirs et à la fois à nos aptitudes créatives (le dessin, le recours à l'inventivité favorisent un accès plus aisé à nos émotions et à nos sensations) :

Dans un premier temps, nous dressons la liste de tous les différents logements que nous avons occupés durant notre vie. Nous veillons à les placer dans leur ordre chronologique. 

Après cela, nous allons nous permettre de les esquisser à notre guise. Nous pouvons faire appel à notre imaginaire et lâcher la bride à nos envies, selon le style et les caractéristiques qui seront le plus inspirants pour nous. Laissons-nous guider par l'enfant qui est en nous, que notre "collier" de maisons soit court ou relativement long.





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Ensuite, prenons une feuille de papier et dessinons une ligne, droite ou sinueuse, selon notre bon vouloir. La longueur du tracé va représenter notre vie, de notre naissance jusqu’au moment présent.

Nous allons alors poser sur cette ligne les symboles de toutes les maisons que nous avons occupées au cours de notre existence. 


(Naturellement, il s'agira de maisons que nous avons habitées significativement. Les hébergements temporaires, les haltes et les dépannages divers n'en font pas partie)

La dernière maison va donc "incarner" celle que nous occupons actuellement.





Notons qu’en principe, nous n’avons pas besoin de mots pour cet exercice. Les maisons parleront d’elles-mêmes. Toutefois, si nous en éprouvons le besoin, nous pouvons nommer l’habitat concerné (éventuellement le dater).

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Une fois notre ligne des maisons complétée, courbe ou droite, nous pouvons attribuer des couleurs aux constructions. Choisissons trois couleurs évocatrices : une couleur pour les maisons heureuses / une pour les expériences d'habitat qui nous laissent des souvenirs chagrins / une troisième pour les logements qui nous auront paru au final peu marquants en matière de souvenirs et d'émotions.




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Nous nous retrouvons à présent avec notre dessin terminé. Regardons-le attentivement. Comment nous sentons-nous ? Avons-nous éprouvé des émotions en dessinant ? Et maintenant, en regardant notre page avec du recul ?

Concentrons-nous sur les maisons symbolisant les expériences importantes.

Prenons le temps d’écouter leur langage. Fait-il remonter des souvenirs ? Notre corps réagit-il à ces évocations ? De quelle manière ? Éprouvons-nous des émotions particulières ? Lesquelles ? Pouvons-nous nous ouvrir à ce qui est là, que cela nous apparaisse comme positif ou comme difficile ? Prenons un moment pour ressentir tout simplement ce qui nous habite, quand nous parcourons du regard la suite de maisons que nous avons dessinées.



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Observons maintenant la maison qui correspond à notre habitat actuel.

Comment y sommes-nous arrivés ? Est-ce que nous l’avons choisie ? Si c'est le cas, de quelle manière ? Comment nous sentons-nous face à elle ? Qu’est-ce que notre corps, nos émotions, nos pensées nous murmurent face à ce symbole?

Restons un moment face à cette habitation qui est la nôtre aujourd'hui. Prenons le temps de quelques respirations pour la considérer avec bienveillance et ouverture.



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[NOTE ] Si nous préférons travailler plus sobrement, sentons-nous libres. Voici ci-dessous des indications qui nous permettront de procéder de manière plus simple:

Nous pouvons utiliser des symboles de maison basiques avec trois différentes couleurs. Chacune va représenter la qualité de l’expérience d’habitat connue, telle qu'elle nous revient à présent en mémoire. 

Nous aurons ainsi la possibilité de placer sur une ligne de vie droite trois types d'images différents, selon la manière dont nous nous souvenons les avoir vécus (nous pouvons aussi agrandir le symbole en ce qui concerne des expériences particulièrement fortes).


 expérience positive        expérience chagrine        habitat peu marquant


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lundi 21 mai 2018

EXPÉRIENCES : interroger l'espace






J’aimerais qu’il existe des lieux stables,
immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ des sources :





Mon pays natal, le berceau de ma famille,
la maison où je serais né, l’arbre que j’aurais vu grandir (que mon père aurait planté le jour de ma naissance) le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts…




De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner, il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête.**




Dans ce texte tiré de Espèces d'espaces, Georges Pérec évoque l'origine de sa fascination pour les questions liées aux lieux. En le lisant avec recul, on peut aussi concevoir le texte comme une invitation à être curieux de manière générale. 


Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d’espace.**

Pérec nous montre à quel point nous manquons de présence et nous tendons à nous ancrer dans des idées préconçues. Ici, il est question de lieux, mais quel que soit le domaine concerné, il est important d’interroger ce que nous expérimentons, ce qui nous entoure, le réel, tel qu’il se déroule sous nos yeux, tel que nous le percevons. Tel que nous le révèle notre réalité. 
Je dis bien : notre réalité et pas les visions toute faites qui nous proviennent de l’extérieur : les on-dit, les il faut, les idées reçues, les codes et les modèles, les jugements instinctifs. 

Considérer les choses à travers toutes nos perceptions sensorielles ou émotionnelles est à la base de la pleine conscience et aussi de la créativité. Pour habiter, comme pour tout autre aspect de notre existence, il est préférable que nous puissions nous fier à ce que nous percevons directement. Comment est-ce que je me sens dans tel ou tel endroit? Puis-je identifier à quoi mes sensations sont dues? Quelle est ma relation aux objets qui m'entourent? Les ai-je vraiment choisis et selon quels critères? Comment est-ce que je prends soin de ma maison? Comment est-ce que je partage l'espace dans lequel je vis? 

Toutes ces interrogations sont fondamentales. Loin des concepts prêt-à-porter, elles exigent que nous partions à la conquête du sur-mesure pour nous créer un habitat qui nous ressemble. Ai-je vraiment besoin d'un logement plus grand? Dois-je recourir à de l'aide pour le ménage? Ma manière de consommer me semble-t-elle adéquate ? Existe-t-il des solutions face à mes difficultés de voisinage? Qu'est-ce qui est intolérable pour moi? Quelle serait ma maison idéale? 

Une véritable conquête spatiale...


**Georges Pérec, Espèces  d'espaces, Galilée,1974

Images : Maison et arbres / Agrigente / Nature morte à Ménerbes / 1953 / Nicolas de Staël

lundi 14 mai 2018

RÉFLEXIONS : gratitude



Cette publicité de Terre des Hommes est parue l'an dernier dans un quotidien, en bas de page. Elle est frappante à plusieurs titres : elle renvoie au scandale de l'enfance abandonnée à elle-même, dans le dénuement et la peur. Elle se réfère aussi à la question de l'habitat en nous invitant à mesurer la souffrance, la cruauté de manquer d'un toit et son corollaire : la chance d'avoir un chez-soi.

Il y  a quelque temps Arte a diffusé un reportage sur des réfugiés rohingyas, où l'on suivait la route d'un groupe familial, composé de plusieurs générations. Fuyant la Birmanie, ils étaient parvenus au Bangladesh voisin après d'innombrables épreuves. A leur arrivée, loin des camps, un notable leur avait accordé un lopin de terre. C'était totalement provisoire. Ils ignoraient encore de quoi leur demain serait fait. Mais à leurs premiers gestes : nettoyer, tasser le sol, planter quelques piquets et disposer une bâche pour se construire un abri, on pouvait percevoir leur soulagement, comme une expiration après des journées  et des journées de marche et d'errance. (17'-20')

Peut-on concevoir la chance que c'est, d'avoir un toit, une protection, un abri, un lieu où se ressourcer, où se réfugier ?

Par-delà nos soucis de logement (petits ou grands), pouvons-nous  sentir de la gratitude et de la reconnaissance pour cette opportunité-là : disposer d'une habitation? (un chance similaire à celle de se voir en relative santé, malgré les inévitables soucis, malgré des passages difficiles, capable de ressentir les mille palpitations de la vie, de percevoir des senteurs, des couleurs, des gazouillis, des mélodies).

La pleine conscience, il me semble, en nous invitant à être présent à chacun de nos gestes, de nos pensées, de nos moments, nous conduit à saisir l'ampleur et la merveille de ces réalités si évidentes parfois, qu'on n'y prend même plus garde. La possibilité d'accéder à l'hygiène et à des locaux chauffés : l'eau courante, froide et chaude, le chauffage central, les raccordements tout-à-l'égout, qui sont des prestations ordinaires de nos logements suisses, ne vont  pas de  soi pour des milliers, des millions de gens, même en Europe. Sans compter la situation dans d'autres continents.

A chaque lever du jour, ce vœu émerge donc : que tous les  êtres humains sur terre, quels que soient les pays, dans les campagnes ou dans les métropoles, puissent disposer d'un lieu où demeurer. Un appui, un nid, une coquille. 


lundi 7 mai 2018

EXERCICE / NETTOYAGE : accomplir

Ce qui garde activement la maison, ce qui lie dans la maison le passé le plus proche,
et l’avenir le plus proche, ce qui la maintient dans la sécurité d’être,
c’est l’action ménagère.
Mais comment donner au ménage une activité créatrice ?
Dès qu’on apporte une lueur de conscience au geste machinal,
dès qu’on fait de la phénoménologie en frottant un vieux meuble,
on sent naître, au-dessous de la douce habitude domestique, des impressions nouvelles. 
La conscience rajeunit tout.
Elle donne aux actes les plus familiers une valeur de commencement.  

Gaston Bachelard, La poétique de l’espace (1957)


Nous voici à la troisième partie d'exercices consacrés au nettoyage de notre maison.
Après avoir parcouru les lieux avec prévenance et attention, en respirant paisiblement, nous avons pris conscience des besoins en matière d'entretien. 
(Est-il vraiment besoin de préciser que ces  exercices s'adressent à toute personne impliquée, indépendamment de questions de genre, et en fonction des capacités physiques de chacun?)


Nous pouvons nous concentrer dans l'instant sur ce qui se passe quand nous nous attelons à ces tâches quotidiennes.

Choisissons deux activités parmi toutes celles que requiert la maison : 

une activité ménagère que nous aimons accomplir 
(si le ménage nous rebute, prenons la tâche qui nous déplaît le moins) et

une activité ménagère que nous n'apprécions pas d'effectuer
(si nous aimons faire le ménage, choisissons une de celles qui nous plaisent modérément).


[Choisissons de prêter attention à ce qui se passe en nous au moment où nous nous livrons à ces occupations. Soyons présents à notre corps, à notre souffle, à nos pensées ou émotions. Puis, répondons aux questions suivantes : ]


Avant de commencer l’activité : Comment nous sentons-nous? Qu’est-ce qui nous pousse, ou nous décide à l’accomplir ? Une échéance fixe  que nous nous sommes donnée? Un sentiment de devoir ou de malaise ? Ou cela répond-il à un besoin ? Pour qui le faisons-nous ? Avons-nous de la peine à commencer ce travail, cela nous demande-t-il de l’effort? Quel est notre ressenti corporel à ce moment précis ? Que nous dit notre cœur ? Quels sont les moyens que nous nous donnons pour réaliser cette activité ménagère ? Utilisons-nous du matériel, des produits spécifiques, et si oui, comment les avons-nous choisis ? Mettons-nous de la musique, écoutons-nous une émission ? Travaillons-nous à plusieurs ? Quel laps de temps nous accordons-nous , sommes-nous pressés par le temps ou nous sentons-nous libres face à lui?

Pendant l’activité : Comment nous sentons-nous pendant  cette action? Avons-nous le cœur à l’ouvrage? Travaillons-nous avec entrain ou à notre corps défendant ? Ressentons-nous du plaisir ou de la frustration ? Trouvons-nous l’activité stimulante ou pénible? Qu’est-ce que nous éprouvons dans notre corps ? Donne-t-il des signes de vigueur, d'énergie ? Ou bien ressentons-nous des tensions, des douleurs, de la peine ? Quels sont nos pensées ? Nos émotions ? Sommes-nous concentrés, entièrement dans l’instant présent, là, ici, maintenant, ou nous projetons-nous déjà dans le moment où ce sera terminé ? Vivons-nous une évolution de nos perceptions tandis que nous sommes en train de travailler ?


Après avoir terminé l’activité : En voyant ce que nous avons accompli, comment nous sentons-nous? Quels sont nos ressentis corporels ? Notre état d’esprit ? Nos émotions ? Ressentons-nous de la fatigue, de la satisfaction, de l’apaisement, de la joie ? Éprouvons-nous un sentiment de soulagement, de service rendu, ou d’autres sentiments ? Prenons-nous conscience de certaines prédilections ou aversions, de certains fonctionnements ou réactions qui nous sont propres?


En comparant les deux activités ménagères que nous avons choisies, percevons-nous des ressentis différents selon les tâches effectuées ? Saurions-nous décrire ce qui distingue l’activité que nous aimons accomplir et celle qui nous rebute ? 

Images : Banksy / 2016 /MOCO / Amsterdam 
Le boulanger Arent Oostwaard et sa femme Catherine Keizerwaard / JH Steen / Rijksmuseum / Amsterdam

copyright © daniela dahler 2018