lundi 21 mai 2018

EXPÉRIENCES : interroger l'espace






J’aimerais qu’il existe des lieux stables,
immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ des sources :





Mon pays natal, le berceau de ma famille,
la maison où je serais né, l’arbre que j’aurais vu grandir (que mon père aurait planté le jour de ma naissance) le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts…




De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner, il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête.**




Dans ce texte tiré de Espèces d'espaces, Georges Pérec évoque l'origine de sa fascination pour les questions liées aux lieux. En le lisant avec recul, on peut aussi concevoir le texte comme une invitation à être curieux de manière générale. 


Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d’un endroit à l’autre, d’un espace à l’autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d’espace.**

Pérec nous montre à quel point nous manquons de présence et nous tendons à nous ancrer dans des idées préconçues. Ici, il est question de lieux, mais quel que soit le domaine concerné, il est important d’interroger ce que nous expérimentons, ce qui nous entoure, le réel, tel qu’il se déroule sous nos yeux, tel que nous le percevons. Tel que nous le révèle notre réalité. 
Je dis bien : notre réalité et pas les visions toute faites qui nous proviennent de l’extérieur : les on-dit, les il faut, les idées reçues, les codes et les modèles, les jugements instinctifs. 

Considérer les choses à travers toutes nos perceptions sensorielles ou émotionnelles est à la base de la pleine conscience et aussi de la créativité. Pour habiter, comme pour tout autre aspect de notre existence, il est préférable que nous puissions nous fier à ce que nous percevons directement. Comment est-ce que je me sens dans tel ou tel endroit? Puis-je identifier à quoi mes sensations sont dues? Quelle est ma relation aux objets qui m'entourent? Les ai-je vraiment choisis et selon quels critères? Comment est-ce que je prends soin de ma maison? Comment est-ce que je partage l'espace dans lequel je vis? 

Toutes ces interrogations sont fondamentales. Loin des concepts prêt-à-porter, elles exigent que nous partions à la conquête du sur-mesure pour nous créer un habitat qui nous ressemble. Ai-je vraiment besoin d'un logement plus grand? Dois-je recourir à de l'aide pour le ménage? Ma manière de consommer me semble-t-elle adéquate ? Existe-t-il des solutions face à mes difficultés de voisinage? Qu'est-ce qui est intolérable pour moi? Quelle serait ma maison idéale? 

Une véritable conquête spatiale...


**Georges Pérec, Espèces  d'espaces, Galilée,1974

Images : Maison et arbres / Agrigente / Nature morte à Ménerbes / 1953 / Nicolas de Staël

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