lundi 9 septembre 2019

PAROLES DE : Renzo Piano


Les mots des architectes qui pensent leur métier au travers de sa fonction citoyenne sont essentiels. Renzo Piano, dont on a déjà parlé ICI, était l'invité de L'heure bleue tout récemment. Voici quelques extraits de l'interview  :


J'ai appris qu'il faut regarder le visage des gens qui habitent l'architecture. C'est Roberto Rossellini qui m'a appris ça, quand j'étais un très jeune architecte et que je venais de terminer Beaubourg. J'étais très anxieux. J'avais peur des réactions à ce drôle de bâtiment et il m'a dit : "Il ne faut pas regarder le bâtiment. Il faut regarder le bâtiment dans les yeux qui regardent le bâtiment. Il faut regarder les gens, et à travers le regard des gens tu comprends si le bâtiment marche, s'il ne marche pas, s'il va être heureux ou non."

Le mot "beau" est un mot complexe, qui n'est pas très intéressant s'il ne veut pas dire aussi : "bon". La beauté est intéressante quant elle a aussi affaire avec la qualité des choses. C'est une interprétation humaniste du mot "beau". Sinon, elle est artificielle et frivole. Elle doit être liée au contenu du lieu, à la façon de l'utiliser et, si les lieux sont beaux de cette façon, alors du coup les écoles, les universités, les hôpitaux, les bibliothèques font que les gens deviennent meilleurs. C'est quelque chose qui peut améliorer la vie des gens. 


On ne peut pas juger l'architecture depuis un point de vue uniquement esthétique. Il y a des aspects esthétiques, fonctionnels et affectifs. Les bâtiments parfois sont aimés. Parfois ils sont adoptés ou rejetés. Parfois, ça prend du temps pour qu'ils finissent par être adoptés. Le côté social est fondamental. 


L'architecture, c'est l'art de construire des abris pour la communauté. On construit des lieux dans lesquels les gens se retrouvent pour mille raisons. Or, un abri n'est jamais seulement un travail technique. Ce n'est pas seulement la réponse à un besoin. C'est la réponse à des désirs, à des aspirations. Il porte toujours les signes de quelque chose. Même une petite maison, modeste, porte les signes des personnes qui l'habitent. Il y a toujours une symbologie.




Il faut absolument observer la réalité des banlieues. On dit tout le temps qu'elles sont horribles. Mais ça n'est pas vrai. Il y a une beauté dans les banlieues qui est dans les yeux des gens, qui les habitent, dans l'énergie des jeunes. Mais quelquefois, elle est même dans les lieux. Il y la vastité, l'espace, la lumière dans certaines banlieues.
Il faut arrêter de voir les banlieues comme des lieux de perdition, des lieux tristes.
C'est le grand défi des 50 prochaines années. Aujourd'hui, le grand défi, c'est de regarder avec amour et affection les banlieues. Elles ont été construites sans affection, sans désir, sans amour, et je crois que le moment est venu aujourd'hui que tout le monde s'occupe de ce problème-là, et peut-être comprendre ce qui s'y passe. Je crois que elles sont le devenir des villes (des lieux où l'on mélange différentes fonctions, pas seulement pour dormir, ou pour produire). Si on n'y parvient pas, ce sera la crise des villes.



Le monde change. Les changements sont inévitables. Quelquefois, ils sont trop rapides et les gens ont de la peine à se faire à ces changements. 
L'architecture n'est jamais l'impulsion au changement. Elle est une manière de donner une forme au changement. Finalement, un bâtiment devient l'expression construite d'un changement qui s'est déjà passé. Beaubourg a été le résultat de Mai 1968, qui s'était déroulé quelques années auparavant. Un bâtiment devient l'expression construite d'un changement qu'il s'est déjà passé.

Autre exemple : on s'est rendu compte soudainement que la Terre est fragile et qu'il faut la ménager. Que le bâtiment doit être sage. Du coup, on construit des bâtiments qui consomment beaucoup moins d'énergie, quatre, cinq fois moins. Parfois zéro énergie. Il y a toujours des révolutions qui se font. Le monde change et l'architecture suit. Elle transforme les changements qui interviennent en bâtiments construits.

C'est pour cela que l'architecture demande du temps pour être comprise. Elle témoigne des changements qui ont eu lieu dans le monde.




Images : Porcelaine blanche / Taizo Kuroda / présenté dans l'espace conçu par Renzo Piano au Château La Coste / Le Puy-Sainte-Réparade / été 2019

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