lundi 1 octobre 2018

EXPÉRIENCE : une maison, une semaine




Dernièrement, je me suis installée dans une petite maison le temps d’une semaine. C’était une belle construction, simple, communément appelée « bungalow», située aux portes du désert, près d’une grande ville d'Afrique du Nord.

Arrivant dans un nouvel endroit, j'ai toujours besoin de prendre mes repères. Très vite, je suis donc allée parcourir le jardin au fond duquel la maison se lovait. J'ai sillonné le terrain alentour. J'ai visité à petits pas son espace intérieur. D’emblée, je m’y suis sentie bien. 

Le matin, il faisait bon admirer le paysage depuis son toit en terrasse. Par temps clair se dessinait au loin la chaîne de l'Atlas : des courbes douces, se perdant dans l'azur, se dissolvant en camaïeux bleutés.



De là-haut, j'aimais regarder le soleil se lever et se coucher. J'aimais observer les ciels mouvants qui m'émouvaient énormément.



J'aimais aussi les pas qui me reconduisaient vers la maison plusieurs fois dans la journée. Ils émettaient de petits craquements feutrés sur le gravier. De petits sons parfaits qui me ravissaient.

Il régnait également dans ce lieu un silence qui n'en était pas vraiment un. Dans ce silence, il y avait les sonorités et les harmonies de la vie qui se déroulait dans les parages : les cris des enfants partant vers leur école, le bêlement des troupeaux, le braiment de deux ânes, le crissement d'une charrette cahotant sur le chemin qui menait au village voisin. 


Un édifice se construisait dans les environs: je constatais que, durant la journée, le chantier 
répandait des rythmes et des percussions, diffusait comme un tam-tam rassurant. Ce n'étaient pas des bruits agressifs, pas de moteurs, ni de marteaux-piqueurs, ni de vrombissements. C'étaient les résonances d'un travail effectué selon les usages anciens, transmis depuis des générations.

Cinq fois par jour, arrivaient en différé deux appels à la prière, un du Sud, l’autre de l’Ouest. Ils arrivaient comme un souffle puissant et, à travers ces voix rappelant combien Allah est grand, c’était la vie qui se rappelait à moi et me tirait de ma torpeur, ou de mon activité du moment. Cinq fois par jour, j’expérimentais l’intense solennité de cette invocation vers quelque chose de plus grand. 




Dans ce coin béni, on entendait les palmiers et les bougainvilliers chanter avec le chergui. Dans ce coin béni, les oiseaux s'en allaient caresser le ciel en esquissant des volutes dorées, puis déversaient leurs trilles et leurs notes aquatiques sur les massifs fleuris.

Dès que le soleil tapait trop fort, la petite terrasse du rez offrait son ombre bienfaisante, une table, une chaise où il faisait bon se mettre à écrire et à dessiner. Quand le soleil tournait et se préparait à achever en splendeur sa journée, je rentrais pour trouver refuge entre les murs. 

L'intérieur était vaste.Il était agréable de circuler dans cet espace bien conçu, répondant judicieusement à ses différentes fonctions : repos, sommeil, hygiène, rangementIl y avait de la place pour un grand lit, pour une penderie ouverte, pour une large douche et un grand lavabo façonnés selon les savoir-faire traditionnels. Au fond : un WC séparé. J'aimais entretenir ces locaux, les garder propres, laver mon linge, procéder à mes ablutions. J'appréciais la sobriété du lieu. Je savais gré à la maison de me procurer l'eau dont j'avais besoin et je veillais à l'utiliser avec modération.

A travers les fenêtres disposées de part en part, la brise s'engouffrait et faisait danser les rideaux sur leurs tringles. Ils émettaient alors un doux murmure, comme une plainte langoureuse. J'avais surnommé ce son : le lamento des rideaux.

J'ajoutais aux parois deux ou trois dessins que j'avais ébauchés durant mes heures libres. C'était suffisant. Je n'avais pas besoin d'autres décorations. La propriété comportait des chambres bien plus grandes, plus sophistiquées et plus élégamment aménagées. Mais elles ne me faisaient pas envie. Le bungalow venait me confirmer que quand j'estime avoir assez, assez de confort, assez d'eau, assez de calme, je n'ai pas le désir d'obtenir davantage. L'envie, la jalousie, me disais-je, sont le fait de gens insatisfaits (il m'arrive bien sûr comme à tout un chacun de ressentir de l'insatisfaction, mais je me sentais comblée avec cette petite construction).




La petite maison n'était pas parfaite. Oh non : un élevage de poulets jouxtait la propriété, juste de l'autre côté du mur d'enceinte, et deux fois par jour, tandis qu'on ventilait ces pauvres bêtes, et selon l'orientation du vent, une forte odeur, de fiente et d'aliments pour animaux, envahissait l'habitacle. Cela virait par moments à la puanteur. Il s'agissait alors de fermer toutes les fenêtres. Parmi les hôtes du domaine, certains se plaignaient. Dans un premier temps, je me suis sentie incommodée, puis j'ai aussi prêté attention à mes pensées. Elles me disaient que, de l'autre côté, des gens travaillaient, gagnaient leur vie avec cet élevage, permettaient à la population locale de se nourrir. Ces pensées, qui considéraient la situation de manière plus vaste, m'ont aidée à accepter cette nuisance comme un état de fait. J'ai continué d'aimer la maison, telle qu'elle était, là où elle se trouvait. D'autres auraient sans doute demandé à déménager. Moi, j'aérais quand le moment s'y prêtait et je refermais dès que cela se justifiait.

Quant au mur en pisé qui encerclait ce petit paradis, il était surmonté de fil de fer barbelé, en partie caché par les arbustes et les fleurs. Sa vue provoquait chez moi un sentiment de sécurité et de malaise tout à la fois. Il disait les privilèges à défendre. Il évoquait le besoin de protection face au dénuement de la population qui vivait de l'autre côté, dans cette terre pauvre, longtemps colonisée, et qui peut-être continuait à l'être encore aujourd'hui par le biais de cette manne - ou de cette calamité - qu'on appelle le tourisme.

Enfin, au bout de cinq ou de six nuits, j'ai réalisé que des insectes mal identifiés partageaient ma chambre et appréciaient énormément mon sang. Je me suis retrouvée en proie à des rougeurs et à des démangeaisons. A la fin de la semaine, j'ai dénombré une soixantaine de petites piqûres. Cette agression contre mon corps était un stress auquel je parvenais difficilement à faire face. Les antihistaminiques dénichés ont certes eu un peu d'effet, mais je commençais à me sentir mal. Mon épiderme irrité me rendait irritable. La nuit, je me concentrais sur ma respiration, mais je peinais à trouver le sommeil. J'ai réalisé combien ma peau était un organe sensible et j'ai vu arriver avec soulagement la fin du séjour. 

Le dernier matin, j'ai fait le tour de la maison et je l'ai remerciée. Je l'ai remerciée pour son hospitalité, pour l'ombre, pour son élégance tranquille, pour ses invites à la lenteur. Je l'ai remerciée pour tout ce qu'elle m'avait apporté. Mais j'ai réalisé que ce n'était pas un lieu où je pouvais résider dans la durée : la cohabitation avec les insectes voraces ne me convenait pas. J'aime donner spontanément mon sang, je n'apprécie pas que l'on se serve à mes dépens. J'ai besoin de me sentir bien dans ma peau (au sens propre et au sens figuré). Je crois aussi que les disparités entre les niveaux de vie des autochtones à l'extérieur et ceux des visiteurs auraient fini par me laisser très mal à l'aise. 

Ce fut une riche expérience d'habitat. Elle m'a appris bien des choses, sur l'esprit de certains lieux, sur les chansons que fredonne la végétation, sur mes capacités d'endurance et sur mes limites, sur ce que je peux accepter et ce que je ne peux pas. 




Images : aux portes du désert d'Agafay / sud de Marrakech
Escalier / Palais El Badi / Marrakech / D. Dahler 

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