lundi 9 juillet 2018

PAROLE DE ... : quand les murs parlent




Les murs ont des oreilles.

Ont-ils aussi une mémoire ? 

Ont-ils des choses à raconter ?

Ont-ils le pouvoir de réparer, de restaurer? 



Peuvent-ils, comme les humains, vivre au présent tout en gardant vivant le souvenir du passé? 
La chaîne Arte a diffusé début juin un documentaire exceptionnel**, réalisée par Ruth Zylbermann, documentariste et historienne de formation. La réalisatrice, dans une démarche de micro histoire, c'est-à-dire réduite à petite échelle, basée sur la vie des individus, a choisi de se pencher sur un immeuble, situé au 209, rue Saint-Maur, dans le Xème arrondissement de Paris. Elle a tenté de répondre à la question : 


Que sont devenus les gens, les enfants surtout, qui vivaient là, avant et pendant la deuxième guerre mondiale, et particulièrement après la rafle du Vel’d’Hiv en juillet 1942 ? 

Elle a cherché à reconstituer leur vie, leur trajectoire, leur quotidien.


Dans les années 1930, l’immeuble était occupé par des habitants d’origine populaire, venus de tous horizons. Il y avait des Français de souche, des immigrés arrivés de toute l'Europe, des Juifs, des non Juifs. Quelque trois-cent personnes vivaient dans cet ensemble: une porte cochère, une cour pavée, quatre bâtiments. Et les enfants allaient à l’école, se retrouvaient dans la courIls y jouaient ensemble, ils se chamaillaient. 

RZ est partie à la recherche des survivants. Pour ce travail de détective, elle est s'est basée sur les archives existantes, par exemple, le recensement de 1936, lequel comportait des informations telles que l'origine, la date de naissance, le métier. Elle a pointé les personnes nées entre 1927 et 1936, les enfants de l'époque, susceptibles d'être encore vivants, de se rappeler, de pouvoir apporter et recevoir des informations. Ainsi a commencé sa longue et passionnante recherche.


Par ce travail de micro histoire, il s'agissait de faire émerger la vie d’autrefois, de donner corps au quotidien avant le fracas, à travers les lieux, leur histoire. Il s'agissait de montrer que les gens victimes de la Shoah avaient eu une existence bien vivante avant d'être des disparus, des dispersés. Partie à leur rencontre, RZ a accompli avec les rescapés toute une reconstruction de la mémoire. Elle a fait émerger des interactions, ressuscité des liens. 

Sa délicate recherche, elle l'a menée par des procédés terriblement touchants et créatifs. Il était important que chacun puisse décrire son vécu, la cuisine, les couloirs, les échos et les interactions, la vie de tous les jours. Alors, elle s'est adressée à ces personnes de 80 ans qui étaient alors des enfants et elle leur a demandé de dessiner. 


Ou bien elle a utilisé des moyens comme de jouets de maison de poupée pour inviter ces personnes à reconstituer les lieux, à évoquer les affects (un homme, par exemple, parle de sa mère couturière en posant une machine à coudre sur une table miniature).




Elle a aussi fait des maquettes, des plans d’architecteset posé des post it sur les façades dessinées pour y coller des noms et pour identifier qui était voisin de qui, qui voyait qui, qui connaissait qui. Elle a projeté également des photographies de disparus sur les murs. 

Ce faisant, RZ n’oublie jamais le présent : elle filme la vie de l’immeuble aujourd'hui, au fil des heures. La vie telle qu'elle se déroule dans un quartier de Paris resté populaire, avec une forte mixité de population. On voit des voisins se parler, se croiser. On aperçoit à travers des fenêtres des pères qui bercent leur bébé pour l'endormir. Ce présent aide à comprendre le passé. C'était aussi comme ça autrefois, dans les années trente, avant l'horreur. Mais ce passé aide aussi à comprendre le présent : il y a aujourd'hui comme naguère des migrants, des étrangers, qui arrivent d'ailleurs, qui travaillent, qui aspirent à s'intégrer. Aujourd’hui. Comme autrefois.

A la fin du film, une sorte de fête rassemble les participants. Les locataires anciens se retrouvent et croisent les locataires actuels. Des gens qui ne s'étaient pas vus depuis septante ans renouent. Parmi les présents : Henry, venu exprès des Etats-Unis, où de la parenté l'avait recueilli après la guerre et qui avait tout oublié, tout oublié de la France et de sa prime enfance. Il revient sur les lieux où ses parents ont vécu avec lui, tout petit. Il pose sa main sur la porte cochère où son père et sa mère ont posé la leur. Il marche sur les pavés où ses parents avaient posé les pieds. Il découvre les lieux où ils avaient été ensemble. L'émotion, intense, émerge, le voile de la mémoire se lève face à l'expérience.


Ruth Zylberman souhaite rendre cette Histoire ressuscitée vivante pour aujourd'hui. Elle dit, se référant à Walter Benjamin : "Les temps ne se succèdent pas les uns après les autres. Le maintenant et l’autrefois se retrouvent pour former une image telle une constellation". 


209, rue Saint-Maur est un film que l'on peut voir en replay sur Arte jusqu'au 3 août (souhaitons que bientôt cette oeuvre soit disponible en DVD).

Images : Site Arte TV / film "209, rue Saint-Maur"

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