lundi 19 novembre 2018

PAROLES DE... : des abris pour les générations futures


Une société croît et progresse quand les anciens plantent des arbres
à l’ombre desquels ils savent qu’ils ne pourront jamais s’asseoir. 
Citation finale du manifeste FREESPACE 





Yvonne Farrell et Shelley McNamara sont les commissaires de la 16e Biennale d'Architecture 2018 qui s'est ouverte en mai dernier à  Venise et fermera ses portes le 25 novembre. Avec leur manifeste FREESPACE, elles ont rédigé une invite à penser l'architecture sous différents axes. En voici quelques extraits : 
FREESPACE invite à réexaminer notre mode de penser, en stimulant de nouvelles manières de concevoir le monde et d’inventer des solutions dans lesquelles l’architecture pourvoit au bien-être de chaque habitant de notre fragile planète.
Nous sommes convaincus que nous avons tous le droit de bénéficier de l’architecture. Son rôle en effet est d’offrir un abri à nos corps et d’élever nos esprits. La belle paroi d’un édifice qui longe une rue fait plaisir aux passants, même s’ils n’y entreront jamais. Le même plaisir est fourni par la vue d’une cour à travers une arcade ou un lieu dans lequel se poser un instant pour jouir de son ombre ou encore une niche qui offre protection contre le vent ou la pluie.
Ce qui nous intéresse, c'est d'aller au-delà de ce qui est visible, en mettant l'accent sur le rôle de l'architecture dans la chorégraphie de la vie quotidienne.
Nous considérons la Terre comme un Client. Cette vision implique une série de responsabilités à long terme. L’architecture est le jeu de la lumière, du soleil, de l’ombre, de la lune, de l’air, du vent, de la force de gravité, de manière à révéler les mystères du monde, et toutes ces ressources nous sont données.



Le président de La BiennalePaolo Baratta, a pour sa part déclaré lors de la conférence de presse donnée à l'ouverture: 

Comme pour les éditions précédentes de la Biennale d’Architecture, nous poursuivons notre enquête sur la relation entre l'architecture et la société civile. Le fossé entre l'architecture et la société civile, causé par la difficulté croissante de cette dernière à exprimer ses besoins et à trouver des réponses appropriées, s’est manifesté par des développements urbains spectaculaires dont la principale caractéristique est l'absence marquée et grave d'espaces publics ou aussi la croissance des zones dans les banlieues et les périphéries de nos villes, dominées et régies par l'indifférence.


L'absence d'architecture appauvrit le monde et réduit le niveau du bien-être public, par ailleurs atteint par les développements économiques et démographiques. Redécouvrir l'architecture revient à renouveler un désir fort de la qualité des espaces dans lesquels nous vivons, qui constituent une forme de richesse publique et un atout qui doit être constamment protégé, rénové et créé. Ceci est le chemin poursuivi par [cette] Biennale d’Architecture.

Parmi tous les travaux retenus et exposés, de nombreux participants ont présenté des projets basés sur des préoccupations écologiques, ayant trait à la volonté de travailler en accord avec la nature, de la mettre en valeur ou de remédier à des destructions passées. 

Le Canada, par exemple, a présenté le projet UNCEDED : Voices of the Land, porté par trois intervenants issus de la communauté autochtone. 





Cette exposition résulte sans doute d'un choix très consensuel, destiné à faire montre de réparation pour les torts infligés aux Premières Nations. Elle a bénéficié de grands moyens concernant sa forme, cependant, elle présente, avouons-le, des faiblesses quant à son contenu. Elle semble seulement effleurer les problématiques énoncées. En la parcourant, on souhaiterait qu'elle expose de manière plus concrète les apports de la tradition autochtone à des projets contemporains au Canada. 

Cependant, tout en n'apportant pas une documentation fouillée, contrairement à d'autres contributions plus remarquées et probablement plus remarquables, cette présentation a un mérite essentiel : celui de faire réfléchir à la richesse et à la sagesse des Anciens.





Ainsi peut-on lire sur un tableau les principes qui se veulent à la base de l'architecture autochtone :


Chaque étape doit suivre un cheminement spirituel guidé par les aînés de la collectivité.

Il faut bien se conduire.

Il faut s'exercer à être toujours au service des autres.

Il faut respecter les processus décisionnels traditionnels des gens.

La forme architecturale est guidée par l'esprit de la nature.

Lorsqu'il s'agit de planifier l'architecture, il faut le faire pour tous les donneurs de vie
sur sept générations. 


En parcourant la Biennale, l'attention du visiteur est happée par d'autres projets, bien plus stimulants, ludiques ou originaux. Certains sont particulièrement novateurs dans leur forme et dans leurs propositions. 

Mais peut-être, peut-être que les exigences de notre temps sont multiples : elles vont au-delà du fait de répondre aux besoins des populations en matière d'hébergement et de vie sociale. Au-delà de faire face à ces besoins avec tous les outils de la modernité. Au-delà de rechercher l'esthétique et l'originalité. 

Peut-être que le véritable défi est de concilier ces réponses actuelles avec des valeurs pilier, des valeurs de sagesse ancienne, véhiculées par nos traditions. Peut-être que, tendus vers notre course au progrès, nous avons eu trop tendance à laisser de côté des vérités essentielles. 

Oui, dès lors, l'exposition canadienne, dont on a peu parlé, qui a peu marqué les esprits, a le mérite de nous rappeler qu'il est urgent de se réconcilier avec le vivant, de repenser la notion-même de progrès et de construire en pourvoyant aux besoins des générations futures. 


En architecture, comme dans tant d'autres domaines, il s'agit donc d'être attentifs, pleinement conscients des pas que nous faisons et de ne pas foncer tête baissée vers les solutions immédiates et spectaculaires : être attentifs afin de prévoir des arbres qui assureront de l'ombre à ceux qui vivront sur notre planète longtemps après nous. 



Images : Entrée de l'exposition / Arsenal / Biennale de Venise

UNCEDED : Voices of the Land / Arsenal / Biennale de Venise

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