lundi 30 avril 2018

NETTOYAGE : balayer du regard




Après avoir fait le tour de notre logement, tranquillement, sans nous presser, sans agir, juste en lui prêtant attention, répondons aux questions suivantes : Qui nettoie notre maison ? Qui en prend soin ? Qui s’occupe de son entretien et des tâches ménagères ? 

Est-ce nous qui le faisons ? Est-ce que nous partageons ces tâches avec d’autres personnes ? Est-ce que nous déléguons ce travail à quelqu’un d’extérieur, entièrement ou en partie ? Dans ce cas, la partie que nous déléguons requiert-elle de notre part des énergies, du temps, de l’argent ? 


Qui fait quoi ? Pour qui ? Pourquoi ?

Prenons le temps de nous pencher sur ces questions. Nous pouvons nous promener, observer, tranquillement. Nous ne sommes pas obligés de répondre immédiatement. Nous nous accordons la possibilité de prendre notre temps. Rien ne presse. Dans l'immédiat, il n'y a rien à faire (même si les apparences tendent à nous prouver le contraire et même si, d'instinct, nous serions justement tentés de "bouger", de "toucher", de"réajuster").













Qui fait quoi ? Pour qui ? Pourquoi ?















Qui fait quoi ? Pour qui ? Pourquoi ?













Images : The Loveletter (détail) / Jan Vermeer / Rijsmuseum / Amsterdam
Peinture pompéienne / MANN / Naples
Portrait d'un jeune homme / Francesco di Cristofano / Gemäldegalerie / Berlin

lundi 23 avril 2018

NETTOYAGE : l'état des lieux



















Marchons lentement dans notre logement, regardons-le attentivement, quel que soit son état d’ordre et de propreté actuel. Observons calmement et de manière approfondie, là où se passe notre vie quotidienne. Passons dans la cuisine, dans notre salle d’eau. Examinons dans les coins, sous les lits, sur les tables. Contentons-nous d’explorer et de constater. Soyons attentifs à ne pas agir.





Si nous éprouvons l’intention d’intervenir, de ranger ou de déplacer un objet, prenons conscience de cette intention, notons-la et revenons gentiment à notre observation calme et attentive du logement tel qu’il est. 


De même, si nous éprouvons des sentiments comme de l’irritation, de la contrariété, l’émergence de jugements critiques ou positifs, contentons-nous d’en prendre note. Et revenons à notre exploration minutieuse. 


Ne "faisons" rien, n’agissons pas.








Une fois le tour de notre habitat effectué, asseyons-nous dans l’endroit qui nous semble le plus adéquat et, après quelques respirations, posons-nous cette question : 







De quoi est-ce que nous avons besoin pour nous sentir bien dans la maison, pour nous y sentir à l’aise ?




Quels soins notre maison nécessite-t-elle pour pouvoir nous accueillir comme nous le souhaitons ? Là, juste en ce moment, tandis que nous portons un regard attentif et bienveillant sur les lieux, visualisons ce qui demande à être fait. Il peut s’agir de vitres ou de sols qui ont besoin d'être nettoyés, de poussière qui s'est accumulée ou de sanitaires délaissés. Des choses qui traînent, des choses oubliées, qui aimeraient être rangées.

Quelles sont les tâches domestiques qui se révèlent à nous ? Posons-nous ces questions. Sans rien faire, rien faire d'autre qu'observer et interroger les lieux. Que sont-ils en train de nous communiquer, juste ici, maintenant ?



Images : peintures pompeiennes / MANN / Naples

lundi 16 avril 2018

PAROLES DE : construire avec
















"Make, Don't make do" **




Le collectif d’architectes Assemble, fondé en 2010 et basé à Londres, a gagné en 2015 un prix d’art britannique prestigieux, le Turner Prize. Pour la première fois, la récompense n’était pas décernée à des artistes, mais aux auteurs d'un projet de réhabilitation : celui de Granby Four Streets, à Toxteth, un quartier délabré de Liverpool. L'histoire de ce quartier est passionnante : A l'origine, il y vivait une population ethniquement variée, à forte majorité noire, puis, suite à de violentes émeutes en 1981, le quartier a inexorablement décliné. Les commerces et les bars ont fermé peu à peu. Les maisons victoriennes d'origine ont été remplacées par des logements sociaux édifiés à la va-vite.














Une association d'habitants s'est créée en réaction à ce délabrement progressif. Au début des années 2010, elle a fait appel à Assemble pour rénover et revaloriser les quatre dernières rues, gardant d'anciennes constructions victoriennes, qui tombaient en ruine. 

Le projet, visant à réhabiliter dix maisons et des espaces sociaux en plein air, a été mené en étroite collaboration avec les habitants. Ce travail a mêlé art, design et architecture sans cloisonnement ni hiérarchisation dans les différentes interventions.
















L'équipe d'Assemble est jeune :  les plus âgés ont à peine trente ans. Ils croient tous fermement qu’on peut rénover et innover sans grand budget, en jouant la carte du local, du DIY, en pratiquant une réutilisation des matériaux et en impliquant les populations concernées. Ils arrivent, ils discutent avec les gens et se retroussent les manches. Ça met de la vie dans la ville, ça ouvre des possibles, ça donne espoir, cette archi vraiment pas chère. On peut créer et stimuler l'imaginaire avec un minimum de moyens financiers.

Ci-dessous : OTO projects, dans une banlieue londonienne, est une salle de musique expérimentale à l'insonorisation originale : des sacs empilés d'un côté et du mortier de récupération de l'autre. Des gravats trouvés sur place constituent le matériau de base, filtrés pour remplir les sacs, grossiers pour le mortier.





** Titre d'une recherche et d'un projet à Stratford, qui pourrait être leur slogan.


Images : tirées du catalogue de l'exposition Assemble. How we built / Architekturzentrum Wien und Park Books / Vienne / 2017, sauf : 
Photographie Liverpool Echo / 21.06.2016 : une résidante devant la maquette  du Grandby Winter Garden.

lundi 9 avril 2018

LECTURES : une écrivaine, sa maison


Une écrivaine, sa maison












Je ne peux pas écrire en dehors de cette maison, jamais, ni dans une chambre d'hôtel, ni dans n'importe quelle autre résidence. C'est comme si seule cette maison, en m'entourant, permettait ma descente dans la mémoire, mon immersion dans l'écriture» 


Annie Ernaux est issue d’un milieu modeste. Douée pour les études et poussée par ses parents, elle est devenue enseignante. Elle s’est mise à écrire très tôt et a été publiée chez Gallimard dès l’âge de 34 ans. C’est une écrivaine qui refuse le romanesque et puise dans sa vie, ses souvenirs, ses expériences pour construire son œuvre. Il ne s’agit pas cependant d’une écriture égocentrique, nombriliste. Elle permet plutôt, à travers sa propre expérience, d’accéder à l’universel, de comprendre des situations sociales, sociologiques, voire politiques. Il n’y a chez elle aucune recherche d’élégance ou de beauté, plutôt un désir d’être au plus près du réel.

 En 2011, son éditeur lui a consacré un livre dans l'édition Quarto, qui rassemble l'essentiel de ses ouvrages (entre temps, elle a publié de nouveaux livres). En guise d'introduction, elle dit : 


Ecrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle : le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie, le deuil. Je n’ai pas cherché à m’écrire, à faire œuvre de ma vie : je me suis servie d’elle, des événements, généralement ordinaires, qui l’on traversée, des situations et des sentiments, qu’il a été donné de connaître, comme d’une matière à explorer pour saisir et mettre au jours quelque chose de l’ordre d’une vérité sensible. ** 


Le livre "Le vrai lieu" est la retranscription d'une longue interview sur les lieux où se sont déroulées ses expériences les plus marquantes, dont elle a fait le fondement de son oeuvre. Elle dit à propos de la maison où elle vit :

J'y suis arrivée en 1977, avec mon mari qui venait d'avoir un poste dans l'administration de ce qu'on nommait alors "la Ville nouvelle de Cergy-Pontoise". Le hasard, donc, et pourtant en voyant la maison pour la première fois, j'ai eu l'impression qu'elle m'attendait, que je l'avais vue dans je ne sais quel rêve... J'y suis restée après la séparation d'avec mon mari au début des années 1980 et j'y vis depuis trente-quatre ans. Je ne m'imagine pas habiter ailleurs.

Par-dessus tout, ce que j'aime dans cette maison, c'est l'espace. L'espace intérieur, et encore plus, l'espace extérieur, cette grande vue sur la vallée de l'Oise et les étangs de Cergy-Neuville. La vue change tout le temps, la lumière n'est jamais la même sur les étangs. La lumière qui va jusqu'à Paris puisque d'ici on distingue la tour Eiffel. Le soir je la vois illuminée. A la fois proche et loin. Je crois que ça correspond bien à ce que je ressens vis-à-vis de Paris, peut-être même par rapport à ma place dans le monde. Paris au fond - ça peut paraître curieux de dire ça - je n'y entrerai jamais...[...] 



C'est comme si j'avais trouvé ma place dans cette nouvelle ville de Cergy, la place où je me sens bien. En arrivant, je n'imaginais pas y rester autant de temps - je crois même que ça me paraissait impensable [...] Et il y a eu cette maison, ma coque, en somme. Quand j'en suis loin, en voyage, je pense quelque fois à elle, vide, un peu abandonnée, mais solide.

Le silence de cette maison, autour, pas de bruit d'autoroute, rien que les oiseaux la plupart du temps. Je crois que c'est de ça, la couleur du silence, ici, que j'ai absolument besoin pour écrire. Et la beauté que cela représente de vivre dedans.[...] 




Ce plaisir qu'il y a à sentir le passage des saisons, à voir les premières perce-neige, la première jonquille. Quand je suis entrée dans cette maison, j'ai eu l'impression de retrouver quelque chose de très enfoui, une proximité ancienne avec la terre. [...] 

Elle se définit comme une "transfuge de classe" et cite en exergue d’un de ses livres, la phrase de Genet : "Je hasarde une explication : Ecrire, c’est le dernier recours quand on a trahi."

Il y a beaucoup de hasards dans ma vie. Peut-être favorisés parce que je suis déplacée socialement. Mais cette maison-là, elle n'est pas située dans n'importe quel lieu, elle est entre ville et campagne, à la lisière d'une ville qui n'a pas la même population, ni les mêmes déterminismes sociaux qu'une ville traditionnelle. En un sens, par sa situation, elle représente, "accomplit", la trajectoire d'une transfuge de classe. ET d'aspect extérieur, elle n'est pas belle, plutôt de "mauvais goût", avec sa façade qui ressemble à un gâteau à trois tranches : un rez-de-chaussée en meulière, un étage en crépi et un autre en brique, un toit trop plat. Une maison baroque, construite juste après la guerre, sans doute celle d'un parvenu. Moi aussi, d'une certaine façon, je le suis.[...]

C'est difficile de parler d'une maison. On sait ce qu'elle représente quand on l'a perdue, quand on ne peut plus y entrer parce qu'elle n'est plus la vôtre. J'ai toujours ressenti cette souffrance par rapport aux maisons que j'ai habitées, de les revoir et de ne plus pouvoir y entrer. Et la mélancolie de me dire : ce n'est pas la peine d'y entrer puisque tout y sera changé, que j'en voudrai aux nouveaux occupants...

Chaque fois que je suis retournée là où j'ai vécu, j'ai pensé que c'était une erreur. Il faut se contenter de la mémoire, c'est là où sont réellement les choses, nulle part ailleurs. Je crois que tout le monde sent ça. Il y a une forme de désespoir particulier à revoir une maison où on a vécu et à ne plus voir qu'une carcasse, finalement... Mais la souffrance ne vient pas de la perte des murs, elle vient de ce qui a eu lieu là, de ce qui y a été vécu, de ce qu'on a aimé, des gens qui ont été là. 




** Ecrire la vie / Quarto Gallimard / 2011 / p.7
Toutes les autres citations sont tirées  du livre : Le vrai lieu / entretiens avec Michelle Porte / Gallimard / 2014 / p.7-13 (édition numérique)


Image : photographie de la maison à Cergy / Ecrire la vie / Quarto Gallimard / p.79

lundi 2 avril 2018

EXERCICES / MEUBLES ET OBJETS : face à face









[Des meubles luisants
Polis par les ans
décoreraient notre chambre]
Charles Beaudelaire *



Dans un précédent billet, nous avons commencé de nous intéresser aux choses avec lesquelles nous vivons. Aujourd'hui, nous allons chercher à approfondir notre relation à elles. Pour ce faire, nous allons dans un premier temps choisir librement un objet et un meuble, dans une pièce que nous occupons habituellement et que, par conséquent, nous avons tous les jours sous les yeux. (Nous pourrons par la suite, si nous le désirons, étendre l'exercice à toute chose qui éveillera notre curiosité).

Plaçons-nous ensuite, debout ou assis, dans une position confortable, devant ce meuble ou cet objet que nous avons choisi. Prenons le temps de l'examiner attentivement, de tous les côtés, en modifiant les points de vue. Prenons aussi le temps de nous écouter, dans ce face à face, avec les divers ressentis qui peuvent émerger. Puis, utilisons la grille suivante pour décrire ce que nous vivons en interaction avec eux :



Objet


Description de l’objet et de sa fonction

Émotions

Ressenti corporel

Pensées






































Nous notons ici nos ressentis et ce qui nous vient à l'esprit. Peut-être des souvenirs ont-ils émergé, sur l'histoire de l'objet, comment il est arrivé chez nous. Peut-être avons-nous pris conscience de sensations de plaisir à sa vue, de perplexité quant à sa présence ou de questionnements quant à son utilité. Laissons-nous entrer en contact avec nos émotions et nos pensées. 


Il est possible que, durant cette observation, des jugements se fassent jour. Dans ce cas, nous en prenons simplement note. Il est possible aussi que nous éprouvions le besoin de bouger, de soustraire ou encore de ranger quelque chose. Si tel est le cas, nous nous laissons le temps de rester avec ces impulsions en nous-mêmes. Nous nous retenons d’agir hâtivement. Nous restons juste là, face à l'objet, en dialogue avec lui.



Heureux, satisfaits, dubitatifs ou désireux d'effectuer un changement, quel que soit notre état d'esprit, nous nous accordons du temps avant d’entreprendre quoi que ce soit.


* L'invitation au voyage / Ch. Baudelaire

Images : Wallpaper with blue Floor Interior / Roy Lichtenstein / Albertina / Vienne
Loneliness / Alice Neel / National Gallery of Art / Washington D.C.

copyright © daniela dahler 2018