mercredi 27 juin 2018

EXERCICE / Partager l'espace : comment ?



A Neauphle, souvent, je faisais de la cuisine au début de l’après-midi.
Ça se produisait quand les gens n’étaient pas là, qu’ils étaient au travail,
ou en promenade dans les Etangs de Hollande, ou qu’ils dormaient dans les chambres.
Alors j’avais à moi tout le rez-de-chaussée de la maison et le parc.
C’était à ces moments-là de ma vie que je voyais que je les aimais 
et que je voulais leur bien.
La sorte de silence qui suivait leur départ je l’ai en mémoire. 
Rentrer dans ce silence c’était comme entrer dans la mer. 
C’était à la fois un bonheur et un état très précis d’abandon à une pensée en devenir,
c’était une façon de penser ou de non-penser peut-être, – ce n’est pas loin – et déjà, d’écrire.
  
Marguerite Duras, La Vie matérielle



Partager un lieu de vie, cela peut être pour certains d'entre nous un bonheur, pour d'autres une source de tensions, pour d'autres encore, désireux de combler un manque, un besoin important. Il y en a aussi qui n'aspirent qu'à une solitude bénie et n'éprouvent aucun désir de la partager. Sans parler des contingences conjoncturelles et financières.


Prenons un moment pour expérimenter ce que nous vivons chez nous, dans l'espace qui nous abrite, individuellement ou avec d'autres.

Parcourons lentement notre maison alors que nous sommes seuls. Explorons les lieux comme si nous y faisions une promenade. Humons l'atmosphère. Laissons-nous guider par nos pas. Soyons présents dans les surfaces que nous traversons. 

Ressentons-nous d'autres présences ? Ou des absences, des manques ? Faisons-nous l’expérience d’un vide ou d’un trop-plein ? A quels endroits cela se manifeste-t-il ? Par quels signes cela se traduit-il ? Notre corps nous donne-t-il des messages à ce sujet ?

Éprouvons-nous des émotions particulières ? Des sentiments révélateurs nous animent-ils à certains endroits ? Notre attitude corporelle change-t-elle selon les lieux ?






Arrêtons-nous à présent. 
Interrogeons-nous à propos de notre manière de vivre en relation avec d'autres.




Habitons-nous avec d’autres personnes ? Si c’est le cas, avec qui ?

Des animaux partagent-ils notre vie ?

Hébergeons-nous, accueillons-nous des invités ? Si oui, quelle place leur laissons-nous ?

Quels sont les espaces communs ? Les espaces de passage ?

Avons-nous un espace personnel ? Est-il reconnu comme tel par les autres personnes ?


Gardons précieusement en nous les observations que nous venons de faire, pour les développer lors de la prochaine séance.



Images : La Charité de Saint Nicolas de Bari (détail prédelle) / Giovanni Francesco da  Rimini / Louvre / Paris
Cupidon fabriquant son arc (détail) / Parmigianino / KHM / Vienne
Madonna con bambino in trono, con angeli e santi (détail)/ A. Lorenzetti / Pinacothèque / Sienne

mardi 19 juin 2018

PAROLES DE... : libérer l'expérience




Une équipe de jeunes architectes de l’EPFZ, choisie pour animer le Pavillon suisse, s’est vue distinguée par le Lion d’Or à la Biennale d’Architecture de Venise 2018.

Les commissaires de la Biennale, Yvonne Farrell et Shelley McNamara, fondatrices du bureau Grafton à Dublin, ont proposé cette année un thème invitant à renouveler les manières de voir et de penser l'espace :  "FREESPACE". En invitant à travailler sur la thématique de l'espace libre, les deux commissaires en appellent à la générosité et à l'ouverture. Leur manifeste (ICIest un encouragement à penser l'architecture de manière alternative. Elles ont affirmé, entre autres : 

FREESPACE invite à réexaminer notre manière de penser, en stimulant de nouvelles manières de concevoir le monde et d'inventer des solutions dans lesquelles l'architecture pourvoit au bien-être et à la dignité de chaque habitant de cette fragile planète. 

Ils s’appellent Alessandro Bosshard, Li Tavor, Matthew van der Ploeg et Ani Vahervaara. Leur travail, "Svizzera 240 : House Tour", a été remarqué tant pour son côté ludique que par son invitation à un regard innovant. Voici ce qu’ils disent à propos de leur projet : 

"Svizzera 240" invite à regarder des appartements vides. Nous voulons emmener les visiteurs dans une visite de maison qui présente une sensibilité architecturale exagérée, à travers laquelle vous pouvez voir les particularités de votre propre maison du point de vue d’un étranger. Nous espérons vivement que cela ouvre de nouvelles voies de réflexion sur le rôle que joue la coquille intérieure des appartements dans le façonnement de nos vies et de nos identités.

Bref, ce travail, en bousculant nos certitudes et nos rapports à l'espace, remet en question notre réalité, et ce que nous considérons nos standards (240 se réfère au nombre de centimètres qui sont la hauteur normative des plafonds en vigueur en Suisse). Il interroge autant les professionnels que les occupants des logements  : doit-on forcément banaliser les constructions ? une autre approche est-elle possible ? ce que nous considérons comme "normal" l'est-il forcément ? pourrait-on concevoir nos espaces autrement ?

La présentation a convaincu le jury et elle séduit les visiteurs. Elle est compacte, amusante, étonnante. Mais, au-delà de tout cela, cette expérience intéressante a aussi le mérite de nous dé-ranger. Elle bouscule nos certitudes. Elle nous invite à ne pas tenir pour acquis ce à quoi nous sommes habitués. Elle ouvre notre regard et, par conséquent, libère notre créativité.

Images : vidéo / site de Pro Helvetia 
bilan.ch


lundi 11 juin 2018

EXERCICE : sortir de chez soi (matin)


Vivre, c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner.
Georges Pérec


Nous passons notre temps à circuler d'un espace à un autre.  
Est-ce que nous nous en rendons compte ?
Sommes-nous conscients de toutes les transitions 
que nous sommes amenés à accomplir tout au long de notre journée ?
Notre attention aux lieux, à leurs atmosphères particulières
peut nous aider, nous sensibiliser à toutes sortes de changements
(relationnels, environnementaux, météorologiques).
Pourquoi ne pas nous exercer à chaque fois que nous sortons de chez nous ?




Nous apprêtant à sortir, devant la porte, prenons une grande inspiration.

Prenons le temps de humer les senteurs, qui flottent dans la maison, 
peut-être une odeur de café, peut-être des effluves de savon.

Écoutons les sons. Le tic tac d’une horloge, une musique de fond, 
les échos d’une discussion, un craquement de parquet.
Peut-être rien, rien d’autre que le silence.

Sentons sur notre peau la chaleur du lieu que nous sommes en train de quitter.



Soyons à l’écoute des émotions qui résonnent en nous-mêmes :
 y a-t-il de l’impatience, du stress lié au temps ? 
Ou une certaine tristesse, un regret de devoir nous en aller ? 
Ou peut-être, sommes-nous déjà ailleurs, pris par des projets, des défis,
dans les activités qui nous attendent ?
Ou alors sommes-nous encore là, juste là, en train de dire au revoir à notre maison ?

Observons la lumière tandis que nous éteignons l’interrupteur. 
Accompagnons du regard l’ombre qui s’installe dans le logement 
que nous sommes en train de quitter.

Expirons longuement. Prenons conscience de tous nos gestes.



Ouvrons la porte, faisons un pas pour sortir, tirons le battant derrière nous. 
Une fois celle-ci refermée, à partir de quand 
ressentons-nous l’impression d’avoir quitté notre chez-soi ? 
Une fois le déclic opéré, la clef tournée ? Une fois l’ascenseur atteint ou les escaliers descendus ? 
Une fois dans la rue ou dans notre voiture ?

Qu’est-ce qui nous indique que le seuil est franchi, que nous sommes dehors ? 
Est-ce que c’est une porte ? Est-ce que ce sont des sons ? Une différence de température ?

Une atmosphère, une odeur, ou encore autre chose ?





Images : Palais de Gubbio / Italie
Abbaye de Silvacane / La Roche sur Antheron
Eglise de Cairanne / Vaucluse

copyright © daniela dahler 2018