mercredi 26 décembre 2018

EXPÉRIENCES : l'intelligence du corps




Dernièrement, une émission de Xenius, sur Arte, nous rendait attentifs à toutes les formes de pollution atmosphérique auxquelles nous sommes exposés entre nos quatre murs. 
Cela peut sans doute paraître étonnant, cependant nous sommes davantage confrontés à cette forme de pollution à l'intérieur de nos maisons qu'au dehors. Parmi les principales sources de pollution, nous trouvons :

L'humidité (sous forme de moisissures, d'algues, de lichens). Ces nuisances peuvent donner lieu à toutes sortes de problèmes de santé : allergies diverses, infections, problèmes des voies respiratoires, etc. 
Les produits chimiques, tels que des colles ou des vernis, utilisés dans la construction ou l'aménagement. A titre d'exemple, il est de plus en plus rare de trouver des meubles en bois véritable, nous avons affaire à des bois agglomérés qui contiennent toutes sortes de matières toxiques.
Les produits de nettoyage. Ils peuvent renfermer de nombreuses substances agressives pour l’organisme. Sans oublier les parfums d'ambiance, les bougies, les bâtonnets d'encens et autres éléments de décoration, tels les textiles, dont les composants contribuent eux aussi souvent à la dégradation de notre air ambiant. N'oublions pas que si nous sommes en bonne santé, nos maisons ont un besoin modéré de nettoyants et de désinfectants.
Les occupants. Leur respiration dégage du CO2, leurs diverses activités de la vapeur. Est-il besoin d'évoquer les effets néfastes du tabac dans nos intérieurs ?
Le monoxyde de carbone. Une molécule qui peut provoquer diverses intoxications, si nous cuisinons au gaz, si nous avons une cheminée ou un poêle dans notre salon.
La pollution électromagnétique. Les appareils toujours plus nombreux que nous accueillons soumettent notre organisme à des stress importants.
Enfin, le radon, un gaz radioactif présent dans l'atmosphère à des taux infimes, mais qui peut se révéler fort dangereux quand il se trouve dans le sol d'une maison. 



Face à ces fléaux, le premier et le plus efficace réflexe que nous puissions avoir est naturellement d'aérer régulièrement les locaux que nous occupons. Il est vital de penser à ventiler (et si possible à des moments où l'air provenant de l'extérieur est le plus sain, par exemple en tout  début de matinée, après le ressourcement nocturne). 
Relevons que l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) consacre à ce sujet plusieurs pages de son siteIl fourmille de conseils clairs et détaillés.

La Baubiologie (terme allemand) est une discipline qui fait ses preuves en Allemagne et qui commence à être reconnue en France, où elle n'a pas encore d'appellation précise, mais que l'on pourrait appeler "écologie du bâtiment". Elle est à même d'évaluer le niveau de salubrité de nos logements en identifiant les polluants de toutes sortes. Elle traque et met à jour les risques de respirer de l’air vicié dans notre habitat.

Bien sûr, ces recherches et les nouvelles technologies qui leur sont liées nous sont extrêmement utiles. Elles peuvent contribuer à notre bien-être en nous rendant attentifs aux diverses sources de pollution possibles et nous aider dans leur prévention. 

Il est aussi important de relever qu'un recentrage sur notre vécu corporel et sensoriel dans nos maisons peut nous être d'un grand secours. En pratiquant naturellement la pleine conscience quand nous sommes chez nous, nous nous rendons attentifs à tous nos sens. Nous sommes présents à ce que nous ressentons, à ce que nous respirons, à ce que nous entendons. Toutes ces perceptions peuvent nous apporter de précieux indices sur nos expériences, en interaction avec notre environnement. Ainsi, nous pouvons participer instinctivement à améliorer notre santé. Profitons donc du précieux travail de détection effectué par nos organes. Notre peau, nos yeux, notre gorge, nos poumons sont là pour nous fournir d'utiles indications.

Pour cela, soyons attentifs à ce qui se passe dans notre corps quand nous sommes chez nous. Au cours de nos méditations formelles et informelles, d'essentielles indications nous sont données. 

Avec ces alliées, nous pouvons agir très pratiquement. Par exemple : en éliminant l'emploi de produits d'entretien dont l'odeur nous semblerait désagréable, voire agressive, pour les remplacer par des détergents plus amicaux (des produits bios ou même les "bonnes vieilles recettes de grand-mère", qui sont efficaces et bien moins chères). En faisant appel à notre odorat, pour déceler des émanations de moisi ou de renfermé potentiellement nocives. En écoutant les signaux de notre corps, qui, par des maux de tête, par des vertiges, même légers, pointe les situations où quelque chose est en train de nous nuire.  En identifiant des endroits de notre logement où nous nous sentons incommodés, afin de nous interroger sur leur origine et être en mesure d'agir positivement si nécessaire. 

De manière plus élargie, nous avons également la possibilité de considérer quel type d'éclairage nous convient et quel type nous est dommageable. Ou bien sentir le moment précis où l'usage d'appareils électroniques (lap tops, tablettes ou smartphones) a trop mis à contribution nos yeux ou bien a stressé nos cellules nerveuses, moment où il serait impératif de mettre un terme à l'activité en cours. 

Notre corps est bourré de compétences. Nous pouvons reconnaître son intelligence, constituée de mille réseaux de perceptions sensorielles. Nous pouvons nous fier à ses aptitudes et nous ouvrir à ces savoirs par des exercices d'attention réguliers. 

Entre autres bienfaits, la pleine présence à ce que nous expérimentons peut nous aider à assainir notre habitat. Oui. Il nous appartient de faire confiance à nos propres moyens de mesure et d'évaluation pour identifier comment vivre et respirer chez nous de la manière la plus favorable possible. 


Ce que cachent nos quatre murs / Xenius / Arte / disponible jusqu'au 23 février 2019

Images : The Walthamstow Tapestry / Grayson Perry / 2009 / Arken Musum 2017 / DK

lundi 10 décembre 2018

PAROLES DE... : gravir les marches


Utilisez les occasions qui se présentent habituellement dans votre maison pour être pleinement conscient de chaque moment présent : ouvrir la porte d’entrée, répondre au téléphone, sortir le linge de la machine à laver, aller au réfrigérateur, etc. Observez la pulsion qui vous précipite vers le téléphone, ou la sonnette dès la première sonnerie. Pourquoi votre temps de réaction doit-il être si rapide ? Êtes-vous capable d’effectuer ces transitions avec plus de grâce ? Pouvez-vous être là à n’importe quel moment ?
Jon Kabat-Zinn, Où tu vas, tu es 



Aussi longtemps que vous êtes éveillé, vous pouvez être dans la conscience. Conscience signifie vision de l’ensemble, perception de tout le contenu et de tout le contexte de chaque instant. Nous ne pouvons pas saisir cela entièrement par la pensée. Mais nous pouvons le percevoir dans son essence si nous passons au-delà de notre pensée, si nous accédons à la vision directe, à l’écoute directe et au ressenti direct.
Ainsi, l’attention vigilante consiste à voir et à savoir que vous êtes en train de voir, à entendre et à savoir que vous êtes en train d’entendre, à toucher et à savoir que vous êtes en train de toucher, à monter les escaliers et à savoir que vous êtes en train de monter les escaliers. Vous pourriez répondre : « Je sais bien sûr que je monte les escaliers quand je monte les escaliers, mais la Mindfulness signifie ne pas simplement le savoir comme une idée, mais être avec le fait de monter les escaliers, cela signifie en faire l’expérience consciente d’instant en instant.
En pratiquant de cette façon, nous pouvons nous dégager du mode de pilotage automatique et arriver progressivement à vivre davantage dans le présent et à connaître ses énergies plus pleinement. Puis, comme nous l’avons vu, nous pouvons répondre de façon plus appropriée au changement et aux situations potentiellement stressantes, car nous sommes conscients de l’ensemble et de notre relation à l’ensemble. Vous pouvez pratiquer ceci à tout moment où vous ne dormez pas. 
Jon Kabat-Zinn, Au cœur de la tourmente, la pleine conscience 

La vie quotidienne ne manque pas d’occasions de pratiquer la pleine conscience. Monter l’escalier en est une pour moi. […]
Je découvre que je suis souvent motivé par mon besoin d’être ailleurs ou par le prochain événement qui, selon moi, devrait se passer. Quand je me surprends à monter l’escalier quatre à quatre, il m’arrive d’avoir la présence d’esprit de m’arrêter en plein vol. J’ai conscience d’être légèrement essoufflé, que mon cœur bat la chamade ainsi que mon esprit, que toute ma personne, enfin, est habitée par une hâte dont j’ai souvent oublié l’objet, une fois arrivé en haut. […] 
Si l’urgence extérieure existe rarement, l’urgence intérieure, habituellement provoquée par l’impatience et une forme inconsciente d’anxiété – dont le processus est parfois si subtil que je dois écouter avec attention pour l’entendre, ou si violent, que pratiquement rien ne peut arrêter son élan. Cependant, la conscience de cette turbulence intérieure m’aide à ne pas m’y perdre à ces moments-là.  
Jon Kabat-Zinn, Où tu vas, tu es  


[...] faire de votre vie la vraie pratique de sorte qu’il ne s’agisse plus simplement de confiner la pratique formelle à un créneau régulier, mais de vouloir appliquer la pleine conscience à chaque moment, peu importe ce que vous faites ou ce qui se passe, jusqu’à avoir le sentiment au bout d’un certain temps que c’est la pratique qui vous fait plutôt que le contraire.
Jon Kabat-Zinn, L'éveil des sens 

Nécessité de revenir régulièrement aux livres fondamentaux. Lire et relire les écrits de Jon Kabat-Zinn. Et à chaque relecture, y puiser quelque chose de nouveau, quelque chose de lumineux. Entrer dans ses textes avec, à chaque fois, notre regard du débutant. Découvrir comme pour la première fois que la vie est faite d'une suite d'instants. Que ceux-ci appartiennent à la pratique formelle ou qu'ils relèvent de la pratique informelle, peu importe. Que l'on soit présent, assis sur un coussin ou montant et descendant des escaliers, cela n'a pas de différence fondamentale : ils font tous partie de notre vie. 

Notre vie est un tout, et dans ce tout, les moments que nous consacrons à la méditation, les moments où nous nettoyons notre maison, les moments où nous y arrivons avec le besoin de nous reposer, les moments où nous grimpons des escaliers (métaphoriques ou bien réels), tous ces moments appartiennent pleinement à notre existence.

Images : Rovinj / Croatie // Korcula / Croatie // Deia / Majorque

lundi 26 novembre 2018

EXPERIENCES : les murs mitoyens






Elle n’est plus heureuse chez elle. 

Elle n’a plus plaisir à emprunter le petit chemin qui la mène vers sa maison.

Elle a perdu la joie d’être chez soi et elle raconte pourquoi.





Elle est arrivée dans ce quartier à la périphérie d’une grande ville, avec son compagnon, enceinte de leur premier enfant. C'était il y a trente ans. Ils étaient devenus propriétaires dans ce lotissement qui comprenait dix maisons mitoyennes, disposées en fer à cheval, au bout d’une charmante impasse. Les maisonnettes avaient chacune trois chambres et un jardin à l’arrière. Devant l’entrée, une place de parcage, rapidement transformée en abri à vélos, car les jeunes familles venues vivre dans le quartier s'étaient révélées avoir des points communs qui généraient de la convivialité : des parents travaillant pour la plupart à temps partiel, des enfants dans la même tranche d’âge, une sensibilité écologique affirmée. Ainsi, on récoltait le papier usagé, on empruntait des transports publics pour gagner le centre-ville en quelques arrêts. On organisait de temps en temps une fête de rue. On allait de maison en maison faire signer une pétition concernant la qualité de vie, ici ou ailleurs. Il y avait aussi une grand-mère, une femme seule, chaleureuse, qui aimait discuter en prélevant son courrier et assurait une présence bienveillante auprès des enfants.



Ça, c’était le bon vieux temps, lequel a duré quelques années. Et puis, une ou deux familles ont déménagé, les parents ayant été appelés ailleurs pour raisons professionnelles. Elles ont été remplacées par des personnes avec d’autres valeurs et d’autres modes de vie. D’autres revenus aussi, puisqu’entre temps les prix de l’immobilier avaient commencé à grimper. Des voitures ont été peu à peu parquées dans la ruelle. Enfin, un jour, la vieille voisine a dû être hospitalisée et n’est plus revenue. Ses héritiers ont décidé de vendre. 
De fil en aiguille, pour une raison ou une autre, les premiers habitants sont tous partis, remplacés par des personnes plus bruyantes, plus indifférentes. De moins en moins de services rendus, mais en revanche des claquements de portes, des enclenchements de moteurs. Les marques de solidarité se sont perdues. Chacun chez soi. Le quartier s'est gentrifié.

Dans sa vie à elle, il y a aussi eu des changements, parallèles à ceux de sa rue : ses deux enfants ont grandi, ils ont quitté le nid. Son époux a rencontré de sérieux problèmes de santé. Elle s’est de plus en plus investie dans le dessin, la création. Elle s’est aménagé un atelier dans les combles de sa maison.


A présent, elle n’aime plus rester dans son jardin et en profiter. Elle dit qu'elle y entend trop ses voisins de droite, qui s’agitent, qui se disputent régulièrement. Dernièrement, des membres de leur famille ont racheté la maison à gauche et ils se parlent parfois, par-dessus elle, comme si elle n’existait pas. Ils ont une voiture et une moto, qui vrombit rageusement le matin.

Parfois, elle souhaiterait partir vivre ailleurs. Se trouver un lieu plus calme, un lieu où pouvoir recommencer à vivre paisiblement. Mais, vu la conjoncture, il n’est pas question de vendre pour racheter, car partout les prix ont flambé. En tant qu'artiste, elle a besoin d'un atelier et un tel espace serait difficile à trouver. Et puis, elle a ses habitudes dans ce coin de la ville. Alors, elle reste. Mais elle se sent malheureuse. Coincée.

Elle rêve de la vie d’avant, de ses voisins d’avant, de la paix d’avant, et des échanges chaleureux d’avant.
Elle ajoute qu’elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour améliorer ses relations avec ses voisins immédiats, qu'elle définit tout à la fois comme tapageurs et sans égards. Au sujet du bruit, elle est allée leur parler et a obtenu le respect des règles communales. Elle n’a pas répondu à certaines provocations. Elle a tout fait pour éviter certaines escalades, certains haussements de ton.  Depuis quelques mois, on se salue à nouveau en se croisant (le manque de salutations entre voisins qui avait régné pendant quelque temps l’avait profondément affectée).

Comme elle a besoin d'aide, je l'invite dans un premier temps, à parcourir son intérieur, son jardin, son quartier, en se centrant sur ses sensations. Elle est censée prendre note de ce qu'elle expérimente durant ces parcours à différents moments de la semaine.
Ensuite, nous commençons par lister les difficultés auxquelles elle se heurte une à une. En résumé, elles peuvent se regrouper en 3 catégories : 

A. problèmes relationnels
B. problèmes d’intimité
C. problèmes de bruit  


A partir de ses réflexions, nous examinons ensemble ce qu’elle pourrait faire pour se sentir un peu mieux chez elle. Pour chaque point, je l’invite à faire un brain storming, afin de laisser émerger ses solutions. 

A. Dans cette période de sa vie où tant de choses semblent devoir se terminer, elle dit qu’elle a besoin d’établir des liens, de créer des ponts, de se retrouver connectée à des personnes amicales. Cette attente vis-à-vis de son habitat est prioritaire à ses yeux.

Elle voudrait améliorer quelques contacts dans sa ruelle, mais les seuls voisins avec lesquels elle a des affinités habitent au lot numéro 1, trois maisons plus avant de la sienne. Elle se propose de renforcer leurs relations, en les invitant plus souvent, pour un dîner, ou une tasse de café. Elle parle aussi d'augmenter les services échangés (courrier relevé, arrosage de plantes, réception de colis). Puis, elle évoque d’autres habitants sympathiques, résidant dans la rue parallèle, avec lesquels elle aimerait avoir des liens plus réguliers. Elle pourra ainsi en les croisant, échanger quelques mots, rendre moins anonyme et impersonnel le chemin qui conduit à sa maison.

Elle dit aussi qu'il y a, devant l’arrêt du tramway, une petite épicerie bio où elle aime aller acheter ses fruits et légumes. Elle se propose de la fréquenter de manière hebdomadaire. Certes les produits y sont plus chers que dans les supermarchés, mais elle préfère renoncer à consommer quelques cafés en ville  pour consacrer l’équivalent de cette somme en soutenant ce commerce de quartier.

Elle songe aussi à l'offre qui lui a été faite d'organiser une exposition de peinture à la salle communale. Cela lui fournirait l'occasion de distribuer des flyers dans les environs, de provoquer des échanges, de rencontrer des gens partageant ses intérêts.

B. A propos de sa maison, elle mentionne la terrasse située au premier étage, où elle ne se rend plus car elle ne s’y sent plus à l'aise alors qu’elle aimait auparavant s’y tenir pour bouquiner ou écrire. C'est un lieu où elle se sent exposée, car une simple clôture tient lieu de séparation avec la terrasse de ses voisins. 
Or, comme elle apprécie les plantes, elle pourrait envisager de faire appel à leurs multiples vertus. Elle parle de bambous qu’elle adore. Elle pourrait choisir des graminées  dont elle apprécie la beauté et dont la présence lui donneraient le sentiment d'être protégée. 
Il serait aisé d'en disposer en quinconce dans des pots (il en existe des espèces non invasives) et de se ménager ainsi un espace où rester calmement profiter de bons moments. A l’abri de regards jugés peu bienveillants.

Idem pour la terrasse du rez-de-chaussée, où elle aime prendre ses repas durant la belle saison. Elle voudrait se choisir de beaux arbustes, savamment organisés, pour délimiter l’espace et faire en sorte qu’elle se sente chez elle, en se définissant un territoire préservé. Le recours à un paysagiste de ses connaissances pourrait sauver son sentiment d'intimité.. Elle se propose d’aller le rencontrer, avec un dessin de son jardin, où elle indiquerait les coins où elle aimerait pouvoir se tenir et ceux où elle éprouve un malaise à rester. 

C. Quant au bruit provenant de l’extérieur (principalement des moteurs, des claquements de portes) et qui l’atteint quand elle se trouve chez elle, elle évoque le fait que les fenêtres (datant de l’origine de la maison) doivent être changées. Ce sera l’occasion de les remplacer par des fermetures de qualité (à double ou triple vitrage). Et pourquoi ne pas en profiter pour se choisir de beaux rideaux aux couleurs chatoyantes, à placer judicieusement aux angles d’où elle a vue sur les véhicules des voisins?

En outre, quand elle reste chez elle, il lui est possible d’écouter de la musique douce, en sourdine et se concentrer sur ces notes bienfaisantes. Et, naturellement, en cas de nécessité recourir à des écouteurs pour se préserver. 

Les bruits ne sont pas que des bruits, des décibels, des réalités quantifiables. Ils sont étiquetés et chargés d'interprétations. Ils véhiculent leur poids d'émotions.

Dans toute situation, il est nécessaire de bien expérimenter et connaître la réalité de ce qu'on vit. Il s’agit de prendre conscience de ses ressentis et de ses sensations et, par-delà, de ses besoins. Ensuite, de faire en sorte que la présence des voisins peu respectueux, expérimentée comme une intrusion pénible, ne soit pas vécue avec impuissance, mais avec la conviction de pouvoir faire quelque chose pour soi. Les modifications ne réclament pas d'être spectaculaires pour donner des résultats appréciables. De petites interventions peuvent générer de belles améliorations. 

Après avoir reconnu les sources du stress vécu, on peut contribuer à l'atténuer en faisant appel à ses ressources et à sa créativité et accentuer l’impression d’être chez soi en se créant un cocon, un lieu protégé. 

Certes, on ne peut pas changer le monde. On ne peut pas changer toutes les données qui ne nous conviennent pas, mais il est possible de cerner ce sur quoi nous avons prise et agir. Agir, c'est-à-dire : faire en sorte que notre univers soit autant que possible à notre convenance, qu'il puisse nous offrir l’abri dont nous avons besoin. 

(Bien sûr, il y a aussi des situations extrêmes où nous ne pouvons que constater notre manque d'emprise sur les circonstances  et où il est préférable de se tourner vers autre chose, partir.) 

Nous devons tous, dans notre vie, composer avec des murs mitoyens. Nous n'avons pas choisi les gens qui se trouvent de l'autre côté de ces mursMais nous pouvons faire face à ces séparations en évitant qu'elles ne deviennent d'infranchissables murailles. Interrogeant la juste voie entre protection et ouverture, il n'est pas sûr que nous soyons sans moyens




Images : Biennale Venise 2018 / Pavillon japonais : Architectural Ethnography / Yukiko Suto : W House / les visiteurs étaient invités à trouver les points de connexion entre les différentes pièces exposées. 

lundi 19 novembre 2018

PAROLES DE... : des abris pour les générations futures


Une société croît et progresse quand les anciens plantent des arbres
à l’ombre desquels ils savent qu’ils ne pourront jamais s’asseoir. 
Citation finale du manifeste FREESPACE 





Yvonne Farrell et Shelley McNamara sont les commissaires de la 16e Biennale d'Architecture 2018 qui s'est ouverte en mai dernier à  Venise et fermera ses portes le 25 novembre. Avec leur manifeste FREESPACE, elles ont rédigé une invite à penser l'architecture sous différents axes. En voici quelques extraits : 
FREESPACE invite à réexaminer notre mode de penser, en stimulant de nouvelles manières de concevoir le monde et d’inventer des solutions dans lesquelles l’architecture pourvoit au bien-être de chaque habitant de notre fragile planète.
Nous sommes convaincus que nous avons tous le droit de bénéficier de l’architecture. Son rôle en effet est d’offrir un abri à nos corps et d’élever nos esprits. La belle paroi d’un édifice qui longe une rue fait plaisir aux passants, même s’ils n’y entreront jamais. Le même plaisir est fourni par la vue d’une cour à travers une arcade ou un lieu dans lequel se poser un instant pour jouir de son ombre ou encore une niche qui offre protection contre le vent ou la pluie.
Ce qui nous intéresse, c'est d'aller au-delà de ce qui est visible, en mettant l'accent sur le rôle de l'architecture dans la chorégraphie de la vie quotidienne.
Nous considérons la Terre comme un Client. Cette vision implique une série de responsabilités à long terme. L’architecture est le jeu de la lumière, du soleil, de l’ombre, de la lune, de l’air, du vent, de la force de gravité, de manière à révéler les mystères du monde, et toutes ces ressources nous sont données.



Le président de La BiennalePaolo Baratta, a pour sa part déclaré lors de la conférence de presse donnée à l'ouverture: 

Comme pour les éditions précédentes de la Biennale d’Architecture, nous poursuivons notre enquête sur la relation entre l'architecture et la société civile. Le fossé entre l'architecture et la société civile, causé par la difficulté croissante de cette dernière à exprimer ses besoins et à trouver des réponses appropriées, s’est manifesté par des développements urbains spectaculaires dont la principale caractéristique est l'absence marquée et grave d'espaces publics ou aussi la croissance des zones dans les banlieues et les périphéries de nos villes, dominées et régies par l'indifférence.


L'absence d'architecture appauvrit le monde et réduit le niveau du bien-être public, par ailleurs atteint par les développements économiques et démographiques. Redécouvrir l'architecture revient à renouveler un désir fort de la qualité des espaces dans lesquels nous vivons, qui constituent une forme de richesse publique et un atout qui doit être constamment protégé, rénové et créé. Ceci est le chemin poursuivi par [cette] Biennale d’Architecture.

Parmi tous les travaux retenus et exposés, de nombreux participants ont présenté des projets basés sur des préoccupations écologiques, ayant trait à la volonté de travailler en accord avec la nature, de la mettre en valeur ou de remédier à des destructions passées. 

Le Canada, par exemple, a présenté le projet UNCEDED : Voices of the Land, porté par trois intervenants issus de la communauté autochtone. 





Cette exposition résulte sans doute d'un choix très consensuel, destiné à faire montre de réparation pour les torts infligés aux Premières Nations. Elle a bénéficié de grands moyens concernant sa forme, cependant, elle présente, avouons-le, des faiblesses quant à son contenu. Elle semble seulement effleurer les problématiques énoncées. En la parcourant, on souhaiterait qu'elle expose de manière plus concrète les apports de la tradition autochtone à des projets contemporains au Canada. 

Cependant, tout en n'apportant pas une documentation fouillée, contrairement à d'autres contributions plus remarquées et probablement plus remarquables, cette présentation a un mérite essentiel : celui de faire réfléchir à la richesse et à la sagesse des Anciens.





Ainsi peut-on lire sur un tableau les principes qui se veulent à la base de l'architecture autochtone :


Chaque étape doit suivre un cheminement spirituel guidé par les aînés de la collectivité.

Il faut bien se conduire.

Il faut s'exercer à être toujours au service des autres.

Il faut respecter les processus décisionnels traditionnels des gens.

La forme architecturale est guidée par l'esprit de la nature.

Lorsqu'il s'agit de planifier l'architecture, il faut le faire pour tous les donneurs de vie
sur sept générations. 


En parcourant la Biennale, l'attention du visiteur est happée par d'autres projets, bien plus stimulants, ludiques ou originaux. Certains sont particulièrement novateurs dans leur forme et dans leurs propositions. 

Mais peut-être, peut-être que les exigences de notre temps sont multiples : elles vont au-delà du fait de répondre aux besoins des populations en matière d'hébergement et de vie sociale. Au-delà de faire face à ces besoins avec tous les outils de la modernité. Au-delà de rechercher l'esthétique et l'originalité. 

Peut-être que le véritable défi est de concilier ces réponses actuelles avec des valeurs pilier, des valeurs de sagesse ancienne, véhiculées par nos traditions. Peut-être que, tendus vers notre course au progrès, nous avons eu trop tendance à laisser de côté des vérités essentielles. 

Oui, dès lors, l'exposition canadienne, dont on a peu parlé, qui a peu marqué les esprits, a le mérite de nous rappeler qu'il est urgent de se réconcilier avec le vivant, de repenser la notion-même de progrès et de construire en pourvoyant aux besoins des générations futures. 


En architecture, comme dans tant d'autres domaines, il s'agit donc d'être attentifs, pleinement conscients des pas que nous faisons et de ne pas foncer tête baissée vers les solutions immédiates et spectaculaires : être attentifs afin de prévoir des arbres qui assureront de l'ombre à ceux qui vivront sur notre planète longtemps après nous. 



Images : Entrée de l'exposition / Arsenal / Biennale de Venise

UNCEDED : Voices of the Land / Arsenal / Biennale de Venise

lundi 29 octobre 2018

EXERCICE / MAISON ET CONTEXTE : nulle maison n'est une île




"Il y a quelques mois, j’ai quitté Paris pour m’installer dans un petit village de Picardie. "Petite maison, 95 m2, avec jardin paysagé clos de murs, dans village très recherché, proche A1, proche Roissy."

La journaliste Lea Veinstein a consacré une série de cinq émissions* au village où elle est venue vivre avec sa jeune famille, probablement davantage par nécessité que par choix. Tout au long de ce documentaire sonore, elle présente les caractéristiques sociales de son nouvel habitat.

Au début du premier volet, elle raconte combien elle se sentait intégrée dans le 20ème arrondissement, avec sa culture urbaine, ses commerces, la mixité de sa population. Sans compter la proximité de son réseau familial et amical. Cependant, après la naissance de son fils, son logement s'est révélé trop exigu, alors que le loyer représentait déjà une bonne part des revenus de cette jeune famille (1'400 euros mensuels pour 50 mètres carrés). Les recherches d’un habitat plus grand se sont vite révélées ardues, entre demandes de garanties financières exorbitantes et offres d'appartements sombres ou situés au cinquième sans ascenseur. De plus, l'insécurité régnant dans la capitale ne semblait pas propice à l'éducation d'un enfant. Finalement, ce parcours du combattant s’est achevé par la location de la petite maison à 45 km de Paris décrite en exergue.  "Madame la comtesse", la propriétaire, a vendu le château de ses ancêtres à un mystérieux et invisible "émir" et possède à présent une bonne partie des biens loués sur la commune.




Dans un premier temps, L.V. et son compagnon sont aux anges : pour un loyer correspondant à leurs moyens (soit 1'200 euros), ils disposent d’un logement avec jardin, pourvu d'une buanderie et d'un WC à chaque étage. Le rêve !

Ce rêve, l’enquête de la journaliste vient le pondérer par petites touches, à mesure qu'elle se met à interviewer voisins et habitants des environs. La jeune femme entreprend toutes sortes de démarches pour connaître son nouveau cadre de  vie : elle s'entretient avec le maire, se porte volontaire pour participer au dépouillement des scrutins lors des votations présidentielles (et s'aperçoit à cette occasion que le village vote à l'inverse de son ancien quartier : les scores du Front national et de la France insoumise y font des résultats à l'exact opposé). Elle croise d'autres néo-ruraux dans une centrale de produits fermiers. Elle assiste à une fête organisée par l'institut catholique réputé qui accueille depuis plusieurs générations les rejetons de la bourgeoisie locale. Elle reçoit les confidences d'un requérant d'asile africain catapulté dans cet univers à mille lieues de sa terre natale, ainsi que d'une femme marocaine, exemplaire dans son désir d'intégration. Nous assistons à l'exploration sociologique de ce territoire qui n'est ni la banlieue, ni la campagne, ni vraiment la province : un lieu où les habitants semblent vivre de manière très cloisonnée, entre voisins vigilants et haies de thuyas. Mortefontaine (c'est le nom peu inspirant du village) ne possède pas de café, aucun commerce et ses rues se révèlent le plus souvent désertes.

L.V., à la fin des cinq épisodes, annonce qu'elle et son compagnon ont décidé de rester vivre dans leur petite maison. On sent le couple bien décidé à faire de ce second choix un choix véritable et ils sont prêts à relever tous les points positifs de leur habitat. Peut-être l'investigation journalistique a-t-elle facilité certaines rencontres. Cependant, on ne peut s'empêcher de se demander combien de temps leur expérience va durer.  L.V. dit à un certain moment : "Il est possible de vivre bien à Mortefontaine, à condition de pouvoir en sortir ". 


En sortir, c'est essentiellement partir pour aller travailler (il faut relever que les trois quarts des habitants ont un emploi sur Paris). A propos des transports, la journaliste évoque les trois possibilités qui s'offrent aux pendulaires : voiture, pour les plus nantis; TER, pour la classe moyenne; enfin, le RER, solution la plus lente dévolue aux moins favorisés. Sur le quai de la gare la plus proche, située à sept kilomètres du village, Léa Veinstein échange avec des usagers : certains doivent effectuer deux heures de trajet pour se rendre sur leur lieu de travail, fatigue et retards garantis, qui transforment peu à peu la qualité de vie choisie en galère subie.

Ces reportages mi-curieux mi-médusés ont le mérite de relever l’importance du contexte social dans lequel nous sommes amenés à vivre.



En envisageant de quitter un logement où nous nous sentons frustrés, nous tenons compte tout naturellement dans nos recherches de nos moyens financiers et de nos besoins en matière d'espace. S'ajoutent à ces préoccupations la question des déplacements et des commodités, ainsi que des nuisances sonores ou atmosphériques que nous souhaitons éviter. 

Ce faisant, n'oublions pas l'importance du contexte dans lequel notre futur habitat devrait s'insérer. Nous sommes des êtres sociaux, appelés à vivre en lien avec d'autres gens, chacun selon nos envies, nos disponibilités et nos goûts personnels. Comme des plantes, nous avons besoin d'un terreau favorable pour nous enraciner. Et ce terreau, il convient de le connaître pour pouvoir définir sa juste place dans la liste de nos priorités. Posons-nous pour ce faire un certain nombre de questions :

Avons-nous besoin d'un quartier animé, commerçant ? Les bruits, les expressions de la vie nous rassurent-ils  ou ont-ils plutôt tendance à nous importuner ? Recherchons-nous des contacts, des relations personnelles avec nos voisins, des échanges souriants et réguliers ? Ou alors, avons-nous besoin de respect et d'égards avant toute chose ? Tenons-nous à préserver notre sphère privée, recherchons-nous le calme et la solitude après des journées très chargées? Avons-nous l'intention de nous intégrer, de participer à des activités locales ou bien considérons-nous que l'essentiel de nos intérêts se déroulent ailleurs ? 

N'hésitons pas à nous interroger. Nous avons tout avantage à tenir compte de l'environnement qui nous convient, au même titre que les mètres carrés, la luminosité, ou les facilités de transport. Intégrer cet aspect dans nos paramètres de recherche est indispensable, faute de quoi nous pourrions nous sentir rapidement mal à l'aise, voire malheureux, après le changement tant espéré. 

Quand un logement nous intéresse, nous pouvons nous adonner à un exercice relativement simple. Pour autant que les circonstances s'y prêtent, il s'agit de nous rendre sur place à différents moments de la journée (matin, midi, soir). Prendre le temps à cette occasion de faire le tour du bâtiment et de parcourir les environs immédiats. Marcher lentement et se demander comment on se sent dans cet endroit. Garder nos yeux et nos oreilles grands ouverts. Être attentifs aux ambiances. Observer les éventuels échanges et interactions. Ecouter nos ressentis corporels, nous connecter pleinement à nos sensations. Prêter attention à toutes ces choses qui sont importantes sans qu'elles s'expriment forcément au moyen de chiffres ou de mots. Être présents. Bref, nous mettre en état de pleine conscience.

On pourra rétorquer que "c'est trop difficile, trop long, cela exige trop de temps". Mais d'une part, il n'y a pas besoin de consacrer de longs moments à cette exploration : ce qui va compter, c'est la qualité de notre attention. Et puis, ce genre d'exercice est apte à nous éviter bien des mésaventures : je pense à ce jeune médecin, célibataire, qui s'est décidé à louer un logement après une seule visite, au terme d'une harassante journée de travail. Sur le moment, il avait trouvé exactement ce qu'il cherchait : un deux-pièces assez grand, à loyer raisonnable, avec, juste à côté, une ligne de bus conduisant directement à l'hôpital. Le problème, c'est que l'appartement était situé au premier étage, coincé entre deux immeubles, et pratiquement privé d'ensoleillement. De plus, la plupart des locations du quartier étaient des locaux commerciaux et, le soir, les weekends, l'endroit se révélait désert. Les restaurants des parages fermaient, car ils se destinaient essentiellement à une clientèle d'employés. Pour une personne vivant seule et se consacrant à une profession épuisante, il y avait de quoi déprimer. Au bout d'une année, le jeune locataire a été ravi de quitter cet endroit qui lui donnait régulièrement le cafard.

En cherchant un nouveau logis, il est possible que nous trouvions une solution correspondant exactement à nos besoins. Il est cependant très probable que nous devions opérer une sélection en tenant compte des qualités primordiales à nos yeux (et validées par nos ressentis). 
Il n'est pas impossible également que nous soyons amenés à revenir sur notre frustration initiale, à la réévaluer, et que, tout bien considéré, si nous lui reconnaissons des atouts essentiels, nous préférions continuer de vivre dans notre logement actuel, en  le réaménageant, en lui apportant peut-être quelques utiles modifications



Dans tous les cas, en prenant pleine conscience de tous nos besoins (ceux qui sont rationnels et ceux qui ne le sont pas, mais qui ne comptent pas moins), nous pourrons envisager la décision à prendre avec plus de confiance. Nous pourrons ainsi compter sur toutes les ressources de notre formidable créativité pour trouver l'option qui nous sera le plus favorable.

* Mortefontaine / Les pieds sur terre / France Culture / 25-28.12.2017
(à podcaster jusqu'à la fin de l'année )


Images : Petits objets en céramique / Sarcophage d'Agha Triade (détail) / Ornement funéraire / Sculpture d'athlète sautant sur un taureau
Musée archéologique d'Héraklion / Crète



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