lundi 25 mars 2019

EXPÉRIENCES : habiter le monde



"Habiter, signifie plus que se loger"


A ne pas manquer sur Arte: Habiter le monde, deuxième saison d'une série documentaire proposée par le philosophe Philippe Simay. Celui-ci est parti à la découverte des habitats les plus étonnants de la planète. En 2016 étaient présentés les dix premiers reportages. On peut voir à présent la suite : en tout vingt films passionnants sur différentes manières de concevoir sa maison à travers le monde. 
Que ce soient les forteresses construites par les Hakkas en Chine, le village scientifique de Ny-Alesund au nord de la Norvège ou encore les "phutukus" des Chipayas en Bolivie, il est toujours impressionnant de découvrir comment l'humain invente des manières singulières pour vivre dans le milieu qui l'accueille.


Observant ces constructions aux quatre coins de la planète, on réalise qu'elles ne tiennent pas compte uniquement de la géographie et de la nature des terrains, des conditions climatiques, des matériaux à disposition, mais également des besoins de connexion des populations concernées. Partout dans le monde, les hommes inventent des manières originales pour cohabiter de manière solidaire. Par exemple, le village de Masoudeh en Iran dispose d'un réseau de toits reliés les uns aux autres, disponibles pour des activités publiques durant la journée (promenades, parties de football, etc) et qui reviennent à un usage privé, le soir venu. Dans la favela de Tavares Bastos, à Rio, où les passages peuvent être extrêmement étroits, des maisons agglutinées s'ouvrent sur un petit stade multifonctionnel, surmonté d'un filet, où l'on peut jouer au football ou organiser des manifestations publiques.
Quant à la nature, étonnamment ce ne sont pas les habitants les plus favorisés qui semblent le plus la respecter. Chez les Chipayas, Indiens que les conflits avec d'autres tribus ont repoussés vers un territoire particulièrement rude, soumis à des conditions extrêmement rigoureuses, on constate un respect sans pareil pour leur environnement. 

Voici ce que Philippe Simay confiait récemment au journal L'humanité ** :

L’habitat ne se réduit pas à de la technique architecturale. Il touche à des débats de valeurs. Toutes les grandes questions de société, tous les rapports de forces, toutes les luttes viennent s’inscrire dans l’espace. Kant considérait que la terre étant ronde, on n’a pas d’autre choix que d’imaginer un droit de visite, un droit d’hospitalité. On est voué à se rencontrer un jour et, donc, à s’interroger sur la façon, non pas seulement dont on occupe l’espace, mais dont on le partage. Habiter, c’est moins prendre place que donner une place.






















En tant que maître de conférences en philosophie au sein d’une école d’architecture, mon travail consiste à fournir des outils aux futurs architectes et urbanistes, des outils pour produire la ville. Mais les professionnels doivent sortir de leur position d’expertise et apprendre à coproduire la ville avec les habitants. Il est essentiel de se départir d’une approche de l’espace qui reste encore trop souvent intellectualiste. Pour ma part, je défends donc, effectivement, une approche sensible de l’architecture et de la ville, partant du corps du citadin et essayant de replacer l’habitant au cœur de tous les processus. L’architecture, ce n’est pas que la vue ou le jeu des formes, c’est d’abord une expérience liée au toucher, à l’odorat, aux affects, aux souvenirs. C’est cette idée qui m’a conduit à m’extraire moi aussi de ma chaire pour me lancer dans Habiter le monde. On ne philosophe pas qu’avec sa tête, on philosophe également avec son corps. Et les voyages, le philosophe les entreprend avec ses concepts, mais aussi, peut-être, pour s’en débarrasser et se rendre à nouveau disponible à l’événement.

... quelques pistes pour réinventer notre rapport à l’espace, qui ne doit plus être seulement une ressource exploitable et transformable, mais un souci partagé. 




"Je défends une approche sensible de l'architecture et de la ville, partant du corps du citadin et essayant de replacer l'habitant au cœur de tous les processus."

A (re)découvrir en replay sur le site d'Arte.tv / ou sur le site youtube.
** L'humanité / 05.02.2019 / interview de Laurent Etre

Images : Phutuku des Chipaya / Altiplano bolivien
Les Tulous  forteresses du peuple Hakka / Chine
Village de Massouleh / Iran 
Favela de Tavares Bastos / Rio de Janeiro / Brésil 

lundi 11 mars 2019

EXPÉRIENCES : pourquoi gaspiller ?













La Fondation Cognacq-Jay basée à Paris, décerne depuis quelques années un prix qui se veut un encouragement de l'innovation au service de l'intérêt général.


En 2018 il a été attribué à Faire avec, une association créée par trois architectes, Clotilde Buisson, Gwenaëlle Rivière et Clara Piolatto.
Par leur initiative, ces trois jeunes femmes ont décidé d'améliorer divers habitats précaires en utilisant des matériaux inexploités.
La réalité de l'habitat précaire en France ce sont : deux millions de personnes privées de confort, pas d'eau courante, ni de douche, pas de WC intérieur, ou de coin cuisine, plus d'un million de copropriétaires en difficultés et trois millions et demi de personnes ayant souffert du froid pour des raisons liées à la précarité énergétique.
(d'après les chiffres fournis par la Fondation Abbé Pierre en 2017)

















Écoutons le témoignage de Clara Piolatto, une des trois initiatrices:


"On récupère des matériaux qui sont généralement des non livrables ou des surplus ou des rebuts de fournisseurs ou de chantiers. On vient récupérer ce qui pourrait être mis à la benne. On récolte avant que ce soit mis à la poubelle et que ça finisse en déchet. C'est du carrelage, du parquet, du papier peint, de la finition, des lampes de chevet. On met en valeur les assemblages de ces matériaux qui sont disparates, puisqu'on récupère sur différents points de collecte, sur différents chantiers.
On regarde ce qu'on a et on regarde avec les personnes concernées comment les assembler en fonction de leurs besoins.
L'idée, c'est vraiment de valoriser l'économie circulaire et de dire : non, c'est pas possible de jeter ça, c'est neuf et on le récupère et on le met en œuvre là où on en a besoin." 

Un exemple pratique : dans un Centre d'hébergement et de réinsertion sociale géré par Emmaüs, en région parisienne, elles transforment les chambres collectives en chambres individuelles :

"Une fois par semaine, on se rend au Centre et on propose différents ateliers pour toucher un maximum de personnes selon leurs centres d'intérêt. Par exemple, on monte une maquette tous ensemble de l'existant pour rendre compte de ce qu'il y a aujourd'hui et voir comment on pourrait le transformer. On a aussi un atelier corps et bien-être pour justement s'installer dans les différents espaces du centre. Et, par l'intermédiaire de la reprise de conscience de son corps, voir comment il évolue dans l'espace du centre."

Comme on peut le constater, leur intervention ne se limite pas aux locaux, mais elle s'intéresse également à la relation entre les individus et les lieux qu'ils occupent. L’association organise par exemple des activités autour du corps dans l’espace avec une danseuse, afin d'aider à mieux percevoir son environnement. Elle propose aussi des ateliers avec un photographe, dans lesquels chaque habitant inscrit la mémoire du lieu existant ainsi que l’utopie du lieu à construire.


Faire avec s'oriente vers trois types de publics et d'habitats :
1/ Les logements individuels, avec des propriétaires occupants dits "précaires", qui ne sont pas en mesure d'entretenir leur logement.
2/ Les copropriétés dégradées.
3/ Les centres d'hébergement, avec des occupants en phase de réinsertion, par le biais du passage des chambres collectives aux chambres individuelles.



Avec des projets passionnants comme celui-ci, on constate qu'un peu partout sont en train d'émerger des initiatives anti-gaspillage, qui impliquent les populations concernées, qui promeuvent une nouvelle manière de tisser ou réparer du lien au travers de l'habitat et qui évitent la destruction absurde de matériaux aptes à l'emploi.

Source : L'esprit d'initiative / France Inter / 08.03.2019
Images : Illustrations de Joost Swarte / Gemeente museum / Den Haag / 2018

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