lundi 29 octobre 2018

EXERCICE / MAISON ET CONTEXTE : nulle maison n'est une île




"Il y a quelques mois, j’ai quitté Paris pour m’installer dans un petit village de Picardie. "Petite maison, 95 m2, avec jardin paysagé clos de murs, dans village très recherché, proche A1, proche Roissy."

La journaliste Lea Veinstein a consacré une série de cinq émissions* au village où elle est venue vivre avec sa jeune famille, probablement davantage par nécessité que par choix. Tout au long de ce documentaire sonore, elle présente les caractéristiques sociales de son nouvel habitat.

Au début du premier volet, elle raconte combien elle se sentait intégrée dans le 20ème arrondissement, avec sa culture urbaine, ses commerces, la mixité de sa population. Sans compter la proximité de son réseau familial et amical. Cependant, après la naissance de son fils, son logement s'est révélé trop exigu, alors que le loyer représentait déjà une bonne part des revenus de cette jeune famille (1'400 euros mensuels pour 50 mètres carrés). Les recherches d’un habitat plus grand se sont vite révélées ardues, entre demandes de garanties financières exorbitantes et offres d'appartements sombres ou situés au cinquième sans ascenseur. De plus, l'insécurité régnant dans la capitale ne semblait pas propice à l'éducation d'un enfant. Finalement, ce parcours du combattant s’est achevé par la location de la petite maison à 45 km de Paris décrite en exergue.  "Madame la comtesse", la propriétaire, a vendu le château de ses ancêtres à un mystérieux et invisible "émir" et possède à présent une bonne partie des biens loués sur la commune.




Dans un premier temps, L.V. et son compagnon sont aux anges : pour un loyer correspondant à leurs moyens (soit 1'200 euros), ils disposent d’un logement avec jardin, pourvu d'une buanderie et d'un WC à chaque étage. Le rêve !

Ce rêve, l’enquête de la journaliste vient le pondérer par petites touches, à mesure qu'elle se met à interviewer voisins et habitants des environs. La jeune femme entreprend toutes sortes de démarches pour connaître son nouveau cadre de  vie : elle s'entretient avec le maire, se porte volontaire pour participer au dépouillement des scrutins lors des votations présidentielles (et s'aperçoit à cette occasion que le village vote à l'inverse de son ancien quartier : les scores du Front national et de la France insoumise y font des résultats à l'exact opposé). Elle croise d'autres néo-ruraux dans une centrale de produits fermiers. Elle assiste à une fête organisée par l'institut catholique réputé qui accueille depuis plusieurs générations les rejetons de la bourgeoisie locale. Elle reçoit les confidences d'un requérant d'asile africain catapulté dans cet univers à mille lieues de sa terre natale, ainsi que d'une femme marocaine, exemplaire dans son désir d'intégration. Nous assistons à l'exploration sociologique de ce territoire qui n'est ni la banlieue, ni la campagne, ni vraiment la province : un lieu où les habitants semblent vivre de manière très cloisonnée, entre voisins vigilants et haies de thuyas. Mortefontaine (c'est le nom peu inspirant du village) ne possède pas de café, aucun commerce et ses rues se révèlent le plus souvent désertes.

L.V., à la fin des cinq épisodes, annonce qu'elle et son compagnon ont décidé de rester vivre dans leur petite maison. On sent le couple bien décidé à faire de ce second choix un choix véritable et ils sont prêts à relever tous les points positifs de leur habitat. Peut-être l'investigation journalistique a-t-elle facilité certaines rencontres. Cependant, on ne peut s'empêcher de se demander combien de temps leur expérience va durer.  L.V. dit à un certain moment : "Il est possible de vivre bien à Mortefontaine, à condition de pouvoir en sortir ". 


En sortir, c'est essentiellement partir pour aller travailler (il faut relever que les trois quarts des habitants ont un emploi sur Paris). A propos des transports, la journaliste évoque les trois possibilités qui s'offrent aux pendulaires : voiture, pour les plus nantis; TER, pour la classe moyenne; enfin, le RER, solution la plus lente dévolue aux moins favorisés. Sur le quai de la gare la plus proche, située à sept kilomètres du village, Léa Veinstein échange avec des usagers : certains doivent effectuer deux heures de trajet pour se rendre sur leur lieu de travail, fatigue et retards garantis, qui transforment peu à peu la qualité de vie choisie en galère subie.

Ces reportages mi-curieux mi-médusés ont le mérite de relever l’importance du contexte social dans lequel nous sommes amenés à vivre.



En envisageant de quitter un logement où nous nous sentons frustrés, nous tenons compte tout naturellement dans nos recherches de nos moyens financiers et de nos besoins en matière d'espace. S'ajoutent à ces préoccupations la question des déplacements et des commodités, ainsi que des nuisances sonores ou atmosphériques que nous souhaitons éviter. 

Ce faisant, n'oublions pas l'importance du contexte dans lequel notre futur habitat devrait s'insérer. Nous sommes des êtres sociaux, appelés à vivre en lien avec d'autres gens, chacun selon nos envies, nos disponibilités et nos goûts personnels. Comme des plantes, nous avons besoin d'un terreau favorable pour nous enraciner. Et ce terreau, il convient de le connaître pour pouvoir définir sa juste place dans la liste de nos priorités. Posons-nous pour ce faire un certain nombre de questions :

Avons-nous besoin d'un quartier animé, commerçant ? Les bruits, les expressions de la vie nous rassurent-ils  ou ont-ils plutôt tendance à nous importuner ? Recherchons-nous des contacts, des relations personnelles avec nos voisins, des échanges souriants et réguliers ? Ou alors, avons-nous besoin de respect et d'égards avant toute chose ? Tenons-nous à préserver notre sphère privée, recherchons-nous le calme et la solitude après des journées très chargées? Avons-nous l'intention de nous intégrer, de participer à des activités locales ou bien considérons-nous que l'essentiel de nos intérêts se déroulent ailleurs ? 

N'hésitons pas à nous interroger. Nous avons tout avantage à tenir compte de l'environnement qui nous convient, au même titre que les mètres carrés, la luminosité, ou les facilités de transport. Intégrer cet aspect dans nos paramètres de recherche est indispensable, faute de quoi nous pourrions nous sentir rapidement mal à l'aise, voire malheureux, après le changement tant espéré. 

Quand un logement nous intéresse, nous pouvons nous adonner à un exercice relativement simple. Pour autant que les circonstances s'y prêtent, il s'agit de nous rendre sur place à différents moments de la journée (matin, midi, soir). Prendre le temps à cette occasion de faire le tour du bâtiment et de parcourir les environs immédiats. Marcher lentement et se demander comment on se sent dans cet endroit. Garder nos yeux et nos oreilles grands ouverts. Être attentifs aux ambiances. Observer les éventuels échanges et interactions. Ecouter nos ressentis corporels, nous connecter pleinement à nos sensations. Prêter attention à toutes ces choses qui sont importantes sans qu'elles s'expriment forcément au moyen de chiffres ou de mots. Être présents. Bref, nous mettre en état de pleine conscience.

On pourra rétorquer que "c'est trop difficile, trop long, cela exige trop de temps". Mais d'une part, il n'y a pas besoin de consacrer de longs moments à cette exploration : ce qui va compter, c'est la qualité de notre attention. Et puis, ce genre d'exercice est apte à nous éviter bien des mésaventures : je pense à ce jeune médecin, célibataire, qui s'est décidé à louer un logement après une seule visite, au terme d'une harassante journée de travail. Sur le moment, il avait trouvé exactement ce qu'il cherchait : un deux-pièces assez grand, à loyer raisonnable, avec, juste à côté, une ligne de bus conduisant directement à l'hôpital. Le problème, c'est que l'appartement était situé au premier étage, coincé entre deux immeubles, et pratiquement privé d'ensoleillement. De plus, la plupart des locations du quartier étaient des locaux commerciaux et, le soir, les weekends, l'endroit se révélait désert. Les restaurants des parages fermaient, car ils se destinaient essentiellement à une clientèle d'employés. Pour une personne vivant seule et se consacrant à une profession épuisante, il y avait de quoi déprimer. Au bout d'une année, le jeune locataire a été ravi de quitter cet endroit qui lui donnait régulièrement le cafard.

En cherchant un nouveau logis, il est possible que nous trouvions une solution correspondant exactement à nos besoins. Il est cependant très probable que nous devions opérer une sélection en tenant compte des qualités primordiales à nos yeux (et validées par nos ressentis). 
Il n'est pas impossible également que nous soyons amenés à revenir sur notre frustration initiale, à la réévaluer, et que, tout bien considéré, si nous lui reconnaissons des atouts essentiels, nous préférions continuer de vivre dans notre logement actuel, en  le réaménageant, en lui apportant peut-être quelques utiles modifications



Dans tous les cas, en prenant pleine conscience de tous nos besoins (ceux qui sont rationnels et ceux qui ne le sont pas, mais qui ne comptent pas moins), nous pourrons envisager la décision à prendre avec plus de confiance. Nous pourrons ainsi compter sur toutes les ressources de notre formidable créativité pour trouver l'option qui nous sera le plus favorable.

* Mortefontaine / Les pieds sur terre / France Culture / 25-28.12.2017
(à podcaster jusqu'à la fin de l'année )


Images : Petits objets en céramique / Sarcophage d'Agha Triade (détail) / Ornement funéraire / Sculpture d'athlète sautant sur un taureau
Musée archéologique d'Héraklion / Crète



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