mardi 20 août 2019

LECTURES : présence à une ville


Kyôto est en soi une leçon de sagesse. Si les grands cimetières et le passage marqué des saisons nous rappellent sans cesse à notre finitude et à l'impermanence des choses, la nature majestueuse et sauvage tout proche nous répète que nous sommes également inscrits dans un cycle pérenne. L'éternité ici n'est pas une ligne tracée vers l'infini, mais un cercles auquel est soumis tout ce qui vit : naissance, épanouissement, dégénérescence et mort, puis nouvelles naissances. 

Corinne Atlan vit depuis près de quarante ans à Kyôto, l'ancienne capitale impériale du Japon. C'est une traductrice émérite du japonais vers le français, qui déploie une érudition enviable et écrit avec une belle élégance.
Dans son livre Un automne à Kyôto, elle dépeint cette saison, jour après jour, au fil de ses promenades, de ses sensations, de ses rêveries et de ses rencontres. Elle veut "traduire en mots sa perception intime de Kyôto". D'un genre indéfini, l'ouvrage se présente comme une invitation à la poésie des lieux, ou comme une série de méditations philosophiques sur la vie, la permanence et l'éphémère. Il pourrait s'agir aussi d'un guide pour qui souhaiterait appréhender la ville avec lenteur et curiosité. Les textes sont abondamment illustrés de citations, empruntées aux poètes japonais, passés ou contemporains, ainsi qu'à des écrivains voyageurs comme Nicolas Bouvier ou Michel Butor.


S'il lui arrive de prendre le train, c'est le plus souvent à pied ou à vélo que l'auteure parcourt la ville et nous la suivons dans ses déambulations cultivées. Ce rythme impulsé par la marche ou la bicyclette lui permet d'entrer dans les différents lieux - jardins, temples, avenues ou venelles - avec les sens grand ouverts, soutenus par une aptitude aiguisée à l'observation. Pas après pas, balade après balade, on assiste aux différentes étapes qui scandent la saison. 


Ce livre est le portrait magnifique et subjectif d'une ville et de ses maisons, de ses monuments et de ses atmosphères. Il est imprégné de pleine présence aux petites et aux grandes choses, fleurs, temples, mouvement des nuages, transitions météorologiques, comportement des habitants, coutumes ancestrales.
Ce qui frappe durant la lecture - mis à part les références à l'histoire des lieux - ce sont les verbes conjugués au temps présent. L'attention à l'instant est continue, le présent est de mise.
Demeurer véritablement dans le présent, ou du moins s'y efforcer, implique une qualité d'attention et de respect de l'autre sans équivalent. Car quand bien même je reprendrais demain le thé dans la même pièce, face à la même personne, lui comme moi aurions déjà imperceptiblement changé, le décor ne serait plus tout à fait semblable, ni la lumière, ni notre état d'esprit. Prendre pleinement conscience de cela, c'est se délivrer de cette hâte angoissée qui nous précipite sans cesse vers l'instant suivant, vers la pensée suivante, vers le futur par essence hypothétique...

Tandis que nous admirons le vieil érable, doyen des lieux, dont les branches frôlent l'auvent du hall de prière, un moine approche : " Cet arbre a trois cent ans, mais le feuillage est exceptionnellement beau cette année. Cela fait bien vingt automnes que je ne l'ai pas vu comme ça." Un petit attroupement se forme. Chacun y va de son commentaire sur la couleur des feuilles, la taille du tronc, la silhouette toujours élancée de ce multicentenaire, dont les branches semblent frémir de joie à tous ces compliments. Aucun doute, c'est un être vivant, un personnage connu de tout le quartier : on prend de ses nouvelles, on s'inquiète pour sa santé. Il sait "créer du lien" entre générations, entre milieux sociaux. Les habitants du quartier aiment se retrouver - depuis plusieurs siècles  sans doute - autour de cet arbre que tous chérissent. Moment de bonheur partagé, sentiment d'appartenance...


Images : Ogata Korin 
 Prunier rouge et prunier blanc / MOA / Atami / Japon
        Paons / panneau de paravent / collection privée
Chrysanthèmes dans un ruisseau / Cleveland Art Museum / USA
 Chrysanthèmes  et Érable / Museum of Arts / Honolulu / USA
       Grues / 6 panneaux / Smithsonian Institution / WDC / USA

                                  

2 commentaires:

  1. Coucou. Et bien je crois que je vais courir commander ce livre. Quel magnifique billet tu nous concoctes avec la présentation de cette auteure. Que j'aimerais la suivre dans ses pérégrinations lentes mais si attentives au monde présent.

    Quel plaisir en effet que de marcher et de s'imprégner de l'atmosphère des lieux. Je dis souvent que pour moi, le plus beau voyage est celui que je fais en marchant. La marche me permet en effet de mieux saisir ce que je ressens en face d'un paysage, d'un nuage, d'une falaise, d'une rivière. Je devrais aussi essayer le vélo!

    Et puis quelle belle image que cet arbre dont on prend des nouvelles, comme on prendrait des nouvelles d'un vieux frère.

    Merci pour cette découverte et bises du soir.

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  2. Hello. Je t'encourage à parcourir ces chemins en suivant C.A. et je te souhaite beaucoup de plaisir. C'est une lecture cultivée et aussi très apaisante. Le genre de lecture qui permet de prendre de la distance de tout ce qu'il peut y avoir de bruyant et de perturbant dans le monde où nous vivons. Le tout sans la moindre affectation et sans le moindre prosélytisme.
    Car C. Atlan est très lucide par rapport à la société japonaise contemporaine. C'est juste une invitation à faire un pas de côté, très bénéfique.
    (je vais je crois écrire un petit billet là-dessus ailleurs)
    Belle soirée.

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copyright © daniela dahler 2018