"Habiter, signifie plus que se loger"
A
ne pas manquer sur Arte: Habiter le monde, deuxième saison d'une série documentaire proposée par le
philosophe Philippe Simay. Celui-ci est parti à la découverte des habitats les
plus étonnants de la planète. En 2016 étaient présentés les dix premiers reportages. On peut voir à présent la suite : en tout vingt films passionnants sur différentes manières de concevoir sa maison à travers le monde.
Que ce soient les forteresses construites par les Hakkas en Chine, le village scientifique de Ny-Alesund au nord de la Norvège ou
encore les "phutukus" des Chipayas en Bolivie, il est toujours impressionnant de découvrir
comment l'humain invente des manières singulières pour vivre dans le milieu qui l'accueille.
Observant ces constructions aux quatre coins de la planète, on réalise qu'elles ne tiennent
pas compte uniquement de la géographie et de la nature des terrains, des
conditions climatiques, des matériaux à disposition, mais également des besoins
de connexion des populations concernées. Partout dans le monde, les hommes inventent
des manières originales pour cohabiter de manière solidaire. Par exemple, le
village de Masoudeh en Iran dispose d'un réseau de toits reliés les uns aux
autres, disponibles pour des activités publiques durant la journée (promenades,
parties de football, etc) et qui reviennent à un usage privé, le soir venu. Dans la favela de Tavares
Bastos, à Rio, où les passages peuvent être extrêmement étroits, des maisons
agglutinées s'ouvrent sur un petit stade multifonctionnel, surmonté d'un filet, où l'on peut jouer
au football ou organiser des manifestations publiques.
Voici ce que Philippe Simay confiait récemment au journal L'humanité ** :
Quant à la nature, étonnamment ce ne sont pas les habitants les plus favorisés qui semblent le plus la respecter. Chez les Chipayas, Indiens que les conflits avec d'autres tribus ont repoussés vers un territoire particulièrement rude, soumis à des conditions extrêmement rigoureuses, on constate un respect sans pareil pour leur environnement.
L’habitat
ne se réduit pas à de la technique architecturale. Il touche à des débats de valeurs.
Toutes les grandes questions de société, tous les rapports de forces, toutes
les luttes viennent s’inscrire dans l’espace. Kant considérait que la terre
étant ronde, on n’a pas d’autre choix que d’imaginer un droit de visite, un
droit d’hospitalité. On est voué à se rencontrer un jour et, donc, à
s’interroger sur la façon, non pas seulement dont on occupe l’espace, mais dont
on le partage. Habiter, c’est moins prendre place que donner une place.
En
tant que maître de conférences en philosophie au sein d’une école
d’architecture, mon travail consiste à fournir des outils aux futurs
architectes et urbanistes, des outils pour produire la ville. Mais les
professionnels doivent sortir de leur position d’expertise et apprendre à
coproduire la ville avec les habitants. Il est essentiel de se départir d’une
approche de l’espace qui reste encore trop souvent intellectualiste. Pour ma
part, je défends donc, effectivement, une approche sensible de l’architecture
et de la ville, partant du corps du citadin et essayant de replacer l’habitant
au cœur de tous les processus. L’architecture, ce n’est pas que la vue ou le
jeu des formes, c’est d’abord une expérience liée au toucher, à l’odorat, aux
affects, aux souvenirs. C’est cette idée qui m’a conduit à m’extraire moi aussi
de ma chaire pour me lancer dans Habiter le monde. On ne philosophe pas qu’avec
sa tête, on philosophe également avec son corps. Et les voyages, le philosophe
les entreprend avec ses concepts, mais aussi, peut-être, pour s’en débarrasser
et se rendre à nouveau disponible à l’événement.
... quelques pistes pour réinventer notre rapport à l’espace, qui ne doit plus être seulement une ressource exploitable et transformable, mais un souci partagé.
"Je défends une approche sensible de l'architecture et de la ville, partant du corps du citadin et essayant de replacer l'habitant au cœur de tous les processus."
A (re)découvrir en replay sur le site d'Arte.tv / ou sur le site youtube.... quelques pistes pour réinventer notre rapport à l’espace, qui ne doit plus être seulement une ressource exploitable et transformable, mais un souci partagé.
"Je défends une approche sensible de l'architecture et de la ville, partant du corps du citadin et essayant de replacer l'habitant au cœur de tous les processus."
** L'humanité / 05.02.2019 / interview de Laurent Etre
Images : Phutuku des Chipaya / Altiplano bolivien
Les Tulous forteresses du peuple Hakka / Chine
Village de Massouleh / Iran
Favela de Tavares Bastos / Rio de Janeiro / Brésil