Il existe un rapport proportionnel entre la rareté des choses que
l’on possède et l’attachement qu’on leur porte. Pour les coureurs des bois de
Sibérie, le couteau et le fusil sont aussi précieux qu’un compagnon de chair.
Un objet qui nous a accompagnés dans les péripéties de la vie se charge de
substance et émet un rayonnement particulier. Le temps le patine. Les années le
cuirassent. Il faudra côtoyer longtemps son misérable patrimoine d’objets pour
apprendre à aimer chacun d’eux. Bientôt le regard aimant posé sur le couteau,
la théière et la lampe se transmet aux substances et aux éléments : le
bois de la cuillère, la cire des bougies, la flamme. La nature des objets se
révèle, il me semble percevoir les mystères de leur essence. Je t’aime, bouteille,
je t’aime, petit canif, et toi crayon de bois, et toi ma tasse, et toi
théière qui fume comme un bateau blessé. Dehors, c’est une telle furie de vent
et de froid que si je n’emplis pas d’amour cette cabane elle risque de se
disloquer.
Sylvain Tesson / Dans les forêts de Sibérie / Folio / p.65
Sylvain Tesson / Dans les forêts de Sibérie / Folio / p.65
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Parcourons
notre logement en prenant tout notre temps. A nouveau, faisons appel à notre
regard neuf, observons notre cadre de vie avec des yeux novices. Faisons comme
si nous étions des étrangers, visitant avec bienveillance une maison inconnue.
Essayons d’être attentifs au tout, ayons une vue d’ensemble de chaque pièce,
que nous parcourons lentement l’une après l’autre.
Nous avons
déjà évoqué l’attitude de non-jugement qui est un des fondements de la pleine
conscience. Si, en parcourant la maison, nous sommes tentés d’émettre des
remarques telles que : « c’est moche », « c’est
beau ! », « il faut absolument ranger / déplacer / modifier
cela », nous pouvons exprimer ce que nous ressentons à ce moment-là par
des descriptions et des faits précis. Par exemple, à partir de la pensée :
« quel fouillis dans ce coin ! », nous pouvons verbaliser :
« Il y a ici une multitude d’objets accumulés, qui gênent le passage, et
sont déplaisants à la vue. Quand je les vois je ressens de l’irritation ».
Ou bien, à partir de : « j’adore cet objet ! », nous
pouvons décrire : « cette lampe me rappelle la personne chère qui me
l’a offerte et inonde la pièce d’une lumière rassurante. De plus, elle éclaire
de manière utile cet endroit ». Ainsi, nous retenons la sensation à
l’origine de notre pensée, en évitant de porter des jugements de valeur.
Faisons
deux fois le tour de notre logement. Lors d’un premier tour, observons plus
particulièrement les meubles. Puis, au tour suivant, focalisons notre attention
sur les objets (bibelots, livres, vaisselle, images). Découvrons-les tous,
meubles et objets, comme si nous les voyions pour la première fois,
qu’ils soient utilitaires ou décoratifs. Que font-ils là ?
Interrogeons-nous sur leur présence.
Comment
sont-ils arrivés chez nous, quelle est leur histoire ? Les avons-nous
choisis ? En avions-nous besoin ?
Comment nous
sentons-nous à leur vue ? Evoquent-ils des émotions ? Provoquent-ils
des sourires, de la tendresse, de la gratitude en nous ? Ou alors
éprouvons-nous de l’irritation, de la contrariété face à eux ? De
l’indifférence ?
Quelle
fonction ont-ils à présent ? Sont-ils utiles, leur sommes-nous
reconnaissants de leur utilité ? Sont-ils beaux, leur sommes-nous
reconnaissants de leur aspect agréable ? Nous sentons-nous attachés à
eux ? Si c’est le cas, qu’est-ce qui nous les rend attachants ?
Pendant et
après cet exercice, évitons de réagir ou d’intervenir (déplacer ou enlever).
Laissons-nous écouter en nous-même les échos de notre visite. Soyons dans la
simple observation. Si notre attention vient à se fixer sur des points pouvant
susciter de l’agacement, comme une tache, ou un dépôt de poussière, ou encore
une accumulation désordonnée, nous pouvons en prendre note, et gentiment
revenir, en respirant, sur ce qui fait l’objet de notre attention, c’est-à-dire
les meubles et les objets que nous accueillons, chez nous.
Images : Box F.V. / 1993 / Johannes Deutsch / Albertina / Vienne
Les meubles : D'abord, j'ai divisé les meubles en trois catégories : les meubles utiles, les meubles beaux - esthétiques, les meubles encastrés (faisant partie de l'appartement, meubles sur lesquels nous n'avons finalement que peu d'impact).
RépondreSupprimerCertains meubles peuvent appartenir aux trois catégories à la fois. Par exemple : dans une chambre, nous avons une bibliothèque, elle est à la fois belle (beau bois chaleureux) et fonctionnelle, puisqu'elle sert au rangement des livres.
Ensuite, les sentiments et les perceptions. Les sentiments pour un meuble peuvent être forts - en tout cas pour moi – il y a des meubles affectionnés, qui ont une histoire heureuse, des meubles de mémoire. Ces meubles ne se situent pas forcément dans "mon espace" dans l'appartement, mais peuvent se situer dans des parties "communes". Lors de cet exercice je ne suis que très rarement tombé sur "mais pourquoi ce meuble est-il ici", ou "ce meuble n'est pas à sa place", cela m'est arrivé une ou deux fois.
Les objets de mémoire, d'histoire et d’agrément : Avant de commencer, quand je parle d'objets, il s'agit d'objets de décoration qui n'ont que marginalement une fonction utilitaire.
Le passage en revue de ces objets est plus complexe. Il y des objets qui ne m'appartiennent pas, mais pour lesquels j'ai une grande affection, des objets qui m'appartiennent (des objets de mémoire comme je les appelle), des objets qui sont beaux indépendamment de toute autre considération, qui reflète des histoires, et finalement des objets pour lesquels je ne sens pas particulièrement de sensation. J'ai remarqué que ces objets, même des objets de mémoire, ne se situent pas forcément dans les territoires personnels de l'un ou d l'autre, mais aussi dans les parties communes. Les objets ont une vie indépendante de leur place actuelle. Il suffit d'un déménagement et ils changeront de place, de chambre, voire même de fonction.
Conclusions : Les remarques que je me suis faites sont focalisées sur les objets : J'en traîne avec moi depuis des années, Objets qui ont servi, qui avaient une histoire, mais qui aujourd'hui ne représente plus rien, l'histoire est passée par là... et leur raison de rester est devenue minime. Il faut donc savoir se défaire d'objets, il ne s'agit pas de trainer des sacs avec soi, pour ce faire nous avons aussi les photographies....
Exercices intéressants et instructifs. A faire absolument
C’est curieux que vous ayez pensé à distinguer les meubles et les objets, car moi-même j’avais hésité à le faire avant de proposer l’exercice. Il me semblait que les objets se rattachaient davantage à notre identité de consommateurs, d’héritiers, d’utilisateurs. C’est un fait : nous possédons plus d’objets et nous en achetons plus. Ils nous renvoient à notre mode de consommation, à nos achats. Ils nous interrogent sur notre manière de dépenser. Vous dites : « Il faut savoir se défaire d’objets, il ne s’agit pas de traîner des sacs avec soi ». En les observant, nous pouvons nous demander si nous les possédons ou s’ils nous possèdent, au final. C’est pourquoi cet exercice me paraît fondamental : en s’interrogeant sur le sens des choses chez nous, nous interrogeons tout à la fois nos besoins réels et notre façon de consommer. Sont-ils en corrélation ? Nous chargeons-nous de choses inutiles ? Nous alourdissons-nous de choses dont nous n’avons pas réellement besoin ? qu’est-ce qui est vraiment précieux et nécessaire ? Ce sont des questions fondamentales, plus profondes qu’on ne le penserait.
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire, Paul !
Bonjour,
RépondreSupprimerJe vous remercie pour cette réponse. En effet, nous avons toujours, moi compris, la tentation d'acheter des objets, pour se faire plaisir à un moment donné, satisfaire, mais si disons-le, une frustration.
J'aimerais revenir sur un autre aspect, celui de la mémoire. Les objets de mémoire. Par exemple, je connais quelqu'un qui ne s'est jamais défait des objets de ses parents. Cette personne les prend à chaque déménagement et n'arrive pas à les laisser, les traîne toujours avec elle : Est-ce pour avoir un petit nid douillet? le rappel de moments heureux? ou ce ne sont finalement que des sacs que l'on prend à chaque fois et qui nous mettent la tête sous l'eau, avec le temps qui passe?
Les objets peuvent devenir une charge, ils peuvent ne pas nous laisser vivre notre propre vie, et peuvent nous ramener sans cesse au passé. Passé dont le deuil n'a pas été fait.
Il faut savoir se défaire d'objets qui avaient à un moment donné une signification, mais, avec le temps qui passe n’en ont plus, ce que j’appelle : les sacs...
Bonne journée
Paul
Se faire plaisir... satisfaire une frustration... comme nous vivons dans une société où les besoins fondamentaux sont couverts, nous nous retrouvons souvent face à ces questions quand nous nous offrons quelque chose. La question est peut-être : quels sont mes besoins de choses dont je n'ai pas fondamentalement besoin?
RépondreSupprimerLa personne dont vous parlez, la manière dont vous la décrivez, c'est comme si les objets représentaient un lien avec des personnes disparues, ses parents. Garder les objets, c'est garder le lien, le maintenir vivant, en quelque sorte. Elle a peut-être l'impression de leur être déloyale ou de les perdre en lâchant ces choses. L'essentiel, avec les objets, c'est peut-être de se sentir bien avec eux, d'en éprouver l'utilité, d'en admirer la beauté. Dès qu'ils deviennent des poids, des charges, dès qu'on les ressent comme tels, il s'agirait de commencer à se poser des questions...